La maison d’édition Les Liens qui Libèrent a publié le dernier essai de Roland Gori : La fabrique de nos servitudes. Dans ce nouvel opus de son appel, Roland Gori reprend son travail d’analyse anthropologique, sociologique et philosophique des discours dominants actuels, en particulier le dit néo-libéral, pour nous en montrer non seulement la redoutable efficacité, mais aussi les limites.
La fabrique des servitudes passe par le contrôle de l’information et de la formation, par la réduction du langage à sa fonction instrumentale de communication, par la dévalorisation de la création artistique, et par l’idéalisation de l’auto-entrepreneur de soi-même. Au service du pouvoir financier, les neurosciences cognitives fabriquent un sujet neuro-économique, éduqué et préparé à la concurrence par les neuro-pédagogues, entraîné à gérer ses émotions et tout ce qui peut faire obstacle sur le chemin glorifié du leader, du winner (évidemment ici, l’importation des termes a toute son importance).
Partant de cet état des lieux plutôt désolant, l’écrit de Roland Gori n’est pas pour autant une invitation à la dépression ou à l’éco-nomico-anxiété, mais bien plutôt une incitation au rêve, à l’utopie et à la résistance. Car les raisons d’espérer sont inhérentes au rapport de l’humain au langage. La disette des mots, l’inadéquation fondamentale du langage au réel nous obligent à inventer, à créer. Et ceci d’autant plus qu’elles sont révélées et soutenues par un discours qui, à l’instar de la psychanalyse, défait les sens établis et dissipe les illusions. Ce discours d’indisciplinarité comme il dit, Roland Gori le construit en faisant appel à son expérience de psychanalyste et d’enseignant, et aussi aux textes de nombreux penseurs du siècle dernier : Walter Benjamin, Gilles Deleuze, Giorgio Agamben, Ludwig Wittgenstein, pour n’en citer que quelques-uns, ou encore de penseurs plus actuels, comme Achille Mbembe, Edouard Glissant et Patrick Chamoiseau. L’acte de création est acte de résistance pour Deleuze. Qu’il soit artistique, linguistique, poétique ou autre, l’acte de création est au final politique.
C’est ainsi que Roland Gori nous invite au marronnage par l’échappement au rationalisme morbide de la langue utilitaire ; il nous incite à délaisser le pouvoir du langage instrumental pour user de la puissance poétique de la langue ; il nous convie à la grande fête de la créolisation d’une langue toujours bien vivante. Car le vivant d’une langue n’est pas sans effets sur le réel.