Déchirure. C'est par elle que je respire. "Ma déchirure" disait Aragon de son aimée Elsa. Ma déchirure à moi ne porte pas le nom d'un être, Mais le nom d'une absence. Un désêtre innommable Qui ne peut qu'essayer de se dire. Respirer par cette fêlure, Elle est le seul point de respiration, Qui permet à l'être de s'échapper, S'évanouir, Puis se recueillir dans un lieu inexistant. L'être par essence éclipsé, Insaisissable et décomplété. Il n'y a pas de moi-profond, Désolée de vous spoiler, Il y a un trou, Avec des bords. C'est tout. C'est tout, Mais certainement pas rien. Car c'est de là qu'on parle, Qu'on respire, Qu'on désire. On ne fait qu'aborder le trou Pour tenter de se saisir. Béance impensable Qu'on essaye de panser. Là se trouve l'inconsolable Qui permet de s'inventer. L'inconsolable, Ce point aveugle, Qui ne peut s'attacher à rien, Qui ne s'articule à rien, Qui dit toujours encore, Encore tout et rien. Il est juste là, Il ne répond pas, Il n'a même pas prétention à dire, Mais pousse pourtant à parler. S'ouvrir à la vie, C'est supporter notre angle mort, Notre insu-porté. C'est aller l'explorer, L'effleurer, l'enlacer, le cerner, C'est aller le détourner, Subvertir ce qu'on a et ce qui nous a porté. Inespéré Jusqu'à ce que la psychanalyse ne vienne me heurter. Une approche littérale, Qui a suivi les lettres qui ont accroché mon corps, Celles qui m'ont bordée. J'y ai découvert mon propre littoral : Terre intime, terre cachée, Avec ses fêlures, ses lisières et ses aspérités. De la déchirure Naissent ces berges littérales qui Libèrent Je. Je ne suis plus déchirée car Je est déchirure. Phoebé LIBERGE