De l’offre analytique… au seuil inaugural d’une question ?  

Texte prononcé lors de la matinée de travail intitulée Les entretiens préliminaires, organisée par le Pôle 9 Ouest le 30 juin 2018

 

Visée et structure logique des entretiens préliminaires

En 1971, Lacan énonce : « les entretiens préliminaires, ça a une fonction pour l’analyse essentielle. Il n’y a pas d’entrée possible dans l’analyse, sans les entretiens préliminaires1 ». C’est sous l’angle de l’offre analytique que j’ai souhaité aborder cette thématique ; « préliminaires », oui, mais à quoi et dans quelle finalité ? La question de l’entrée dans l’analyse ne pose-t-elle pas d’emblée celle de la sortie, et donc de l’option envisagée quant à la fin de la cure analytique ? La question soulevée est celle d’une précession logique à ce seuil inaugural et de l’implication, avant même l’entrée, de la visée de l’analyse. D’emblée, via ces entretiens marqués de l’offre analytique, il y aurait mise en jeu de ce qui spécifie la psychanalyse, sans présager ni de l’entrée, ni de l’issue de chaque cure. Ainsi, c’est sur la responsabilité de l’analyste liée à l’éthique de la psychanalyse, que j’insisterai pour ouvrir la question dans un au-delà de la technique et d’un séquençage temporel. Dès l’accueil, un réel est en jeu dans la clinique analytique ; la structure logique de ces entretiens préliminaires se spécifierait de ne pas l’éluder, ni le temps nécessaire à son avènement pour chaque sujet a-ccueilli dans sa singularité ; en question dans l’offre analytique : comment quelque chose de l’inconscient parviendra peut-être à s’introduire pour cet analysant-là à venir ?

Dans l’option lacanienne, l’offre analytique relève d’une offre de parole corrélée à l’éthique du bien dire. Selon la règle de l’association dite « libre » introduite par Freud, le « postulant » à l’analyse est invité à « dire tout ce qui lui passe par la tête » ; mais « que veut dire tout dire » ? » interroge Lacan en 75 : « Ça ne peut pas avoir du sens. Ça ne peut vouloir dire que dire n’importe quoi. En fait, c’est ce qui se passe. C’est par là qu’on entre en analyse2 ». Soulignons qu’il qualifie d’un « savoir qui ne se sait pas, et qui est vraiment ce qui travaille », ce à quoi il rapporte ce qui est « peut-être là sorti au hasard3 ». Serait-ce ainsi le seuil de la surprise, irruption de la contingence via l’association libre assortie d’un étonnement qui frappe le sujet en demande d’analyse, qui l’amène à basculer dans une ouverture à l’inconscient et à se mettre au travail des signifiants qui le précèdent ? Quelque chose du « moi qui n’est pas le maître dans sa propre maison » serait entre-a-perçu allant au « il y a une cause à ça4 » et en quoi ça me concerne ? Pas sans un espace laissé suffisamment vacant par l’analyste néanmoins, à partir duquel l’éventuel analysant à venir pourra faire l’expérience de sa parole jusqu’à un surgissement nouveau ; l’émergence de quelque chose de différent quant à ce qui l’avait conduit là… une question peut-être. Quelque chose d’inouï se rencontrerait au point de susciter un désir de savoir ; ce que C. Soler précise comme suit :

Il est question d’une « parole dans laquelle le sujet travaille à s’absenter, à lâcher prise assez pour laisser apparaître… ce qui le travaille, le vrai travailleur, soit son inconscient jamais en grève. Ce seuil franchi, il y a analysant. (…) On entre dans le travail analytique animé par l’espoir de la découverte de la cause de ses souffrances, autrement dit… de ce que l’on ne sait pas de soi, mais que l’on suppose cependant. (…) La visée des entretiens préliminaires… c’est de faire émerger, sous la demande de soin, son ignorance de lui-même5 ».

Ce qui spécifie la psychanalyse ?

L’hypothèse que j’extrais est d’une part qu’il y a une perte au commencement ; d’autre part que c’est via la réponse spécifique de l’analyste que cette 1ière trouée se signale et s’a-seuil éventuellement plus avant : « D’abord, il s’abstient. (…) Il faut que l’analyste tienne en réserve son consentement pour que cette insistance se fasse présente » ; sa tâche est d’a-mener le sujet à « se mettre en condition pour amorcer le travail analytique6 ». Il s’a-gît que la demande prenne forme jusqu’à s’avérer « vraie demande » ; celle-ci portant « autre chose… qui est désir », dont « on ne sait pas où il va7 », formule C. Soler. C’est via le désir de l’analyste en acte que le travail de l’inconscient s’engagerait ; l’analyste a sa responsabilité dans « faire sentir » l’existence de l’inconscient et en favoriser l’expérience. De l’analyste serait une condition non suffisante, mais nécessaire à l’analyse, et donc à ce que s’opère la bascule de l’entrée. Pas d’entrée dans l’analyse possible, pas de franchissement du seuil des entretiens préliminaires sans « du psychanalyste » en jeu. Aucun critère d’analysabilité, aucune valeur de prédiction, aucune garantie… l’offre analytique et son éthique est connotée de l’ek-sistence du trou dans l’Autre. S’orienter du on ne sait pas où ça mène et viser à ne pas recouvrir le malentendu fondamental ferait la spécificité de l’analyse et de la réponse de l’analyste. Il y a un défaut inhérent à la structure du « parlêtre » ; l’offre analytique est marquée de cette rencontre avec le sans fond et le hors sens de l’inconscient. L’analyste en est issu de par l’expérience de sa cure poussée à son terme ; celui de l’émergence du désir de l’analyste qualifié « d’inédit » par Lacan, dont la visée est « d’obtenir la différence absolue8 ». Cette rencontre avec la zone de dissolution irrémédiable, cet insituable du relié à rien, est impliquée en-deçà de l’entrée et par-delà la sortie de l’analyse. C’est l’hypothèse proposée : au-delà de l’accueil, il est question d’une 1ière a-pproche de l’ab-surde, au sens du radicalement sourd à soi, via ces entretiens préliminaires. De l’insu vient au sujet, même s’il ne consent pas au hors sens dès le départ ; plutôt sera-t-il question à l’entrée, de l’usage de la voie du sens là où un « je ne sais pas » a émergé ; mais l’épuisement suffisant de cette logique, ses limites, ne se rencontrent qu’éventuellement, et pas dès le début.

Ainsi, si d’emblée quelque chose du « détaché du sens », du « sans solution » fondamental fait apparition, par où est-ce que cela passe pour venir au sujet ? N’est-ce pas via l’a-ccroche transférentielle et son maniement par l’analyste ? Telle serait sa tâche décisive : rendre possible que du malentendu s’accueille. Cette 1ière trouée si elle vient à se frayer, à partir de la fissure teintée d’impossible qui l’a conduit à consulter, touche précisément au cœur structurel du ratage. Néanmoins, ce temps de l’altération, sous la forme de l’émergence d’une question, ne peut être précipité. L’analyste sera attentif à comment le sujet se débrouille avec cette déstabilisation jusqu’à la décision de supporter ou non, le transfert de cet analysant-là. L’orientation étant de ne pas court-circuiter ce temps logique mais plutôt, avec l’éthique de la psychanalyse, d’en favoriser l’advenue jusqu’à, quasi de surcroît, l’entrée dans l’analyse. Creuser l’irréductible intervalle qui ouvre à la portée spécifique de l’expérience analytique serait en jeu et l’enjeu logique avant l’entrée, quelle qu’en soit la suite. Or, n’est-ce pas là un aspect caractéristique de la psychanalyse et de son éthique ? Du… devoir de prêter de l’inter… les entretiens préliminaires seraient marqués d’un créer les conditions d’une ouverture à ce qui fait la substance de l’analyse, ainsi que sa visée, au-delà de l’intention.

De l’offre du trou-vailler

De l’offre du trou-vailler, voici ma proposition. Créer les conditions de l’écart suffisant pour favoriser un éveil à l’ek-sistence de l’inconscient. Ce peut être la survenue d’une formation de l’inconscient ; telle l’irruption d’Alcibiade et de son hoquet dans le Banquet… ça reste en travers. Quelque chose du non résorbable pulse, du non assimilable s’indique, ça fait rupture pour le sujet et marque la mise en fonction du sujet supposé savoir. Le consentement par l’analyste de supporter le transfert de cet analysant est un autre aspect décisif. Non sans rappeler l’implication éthique, côté analyste aussi, d’un maintien sur la brèche dès l’accueil et jusqu’à la fin dans la direction de la cure ; ce que l’indication lacanienne « il n’y a de résistance que de l’analyste9 », souligne. L’analyste a à se maintenir sur la sellette, non sachant, pas-tout qu’il est… ce dont son offre s’avère structurellement empreinte, en-deçà et par-delà le battement de la vraie demande.

 

  1. LACAN, J., « Entretiens de Saint-Anne, le 2 décembre 1971 », …Ou pire Le savoir du psychanalyste 1971-72, Paris : Staferla, p.11.
  2. LACAN, J., « Conférence du 1ier décembre 1975 », Conférences et entretiens dans les universités nord-américaines. 
  3. LACAN, J., Le Séminaire L’envers de la psychanalyse, Livre XVII, Paris : Seuil, p.37.
  4. LACAN, J., Le Séminaire L’angoisse, Livre X, Paris : Seuil, p.325.
  5. SOLER, C., « Travailleur ? » dans le Mensuel n°104, Paris, p.13-21.
  6. Ibid., p.20.
  7. Ibid., p.18.
  8. LACAN, J., Le Séminaire Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Livre XI, Paris : Seuil, 1973, p.248.
  9. LACAN, J., Le Séminaire, Le Moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse, Livre II, Paris : Seuil, 1978, p.266.