ANNULATION – Intervention de Jean-Michel ARZUR, psychanalyste à Rennes :
» Usages et mésusages du transfert «
Les présentations de malades de Lacan à St-Anne, sont avant tout la rencontre d’un sujet avec un psychanalyste. Le sujet accepte de donner publiquement un aperçu de là où il en est de son trajet dans l’existence et l’analyste met son expérience de l’écoute clinique à l’épreuve de cette rencontre. Le dispositif repose aussi sur le public de praticiens à l’écoute du patient et qui peut venir compléter dans la discussion le matériel de l’entretien (1).
Loin d’être silencieux, Lacan s’emploie à ce que le patient explique ce qui lui arrive, donne des exemples de ce qui ne va pas pour lui. Il l’encourage à cerner au plus près son mal-être et à produire un dire qui soit nouveau, sur lequel il pourrait s’appuyer dans son existence.
Ce dispositif de la présentation de malade n’a pas toujours existé en l’état. En effet la pratique traditionnelle en psychiatrie dont Charcot, G.Dumas, G.G. de Clérambault furent des figures éminentes, avait pour finalité de confirmer le savoir déjà établi de la théorie : le malade, pris comme objet d’étude, servait essentiellement à illustrer la description du symptôme auquel il était réduit dans cet exercice. Freud a assisté aux présentations de malade de Charcot sans en avoir eu la pratique. Il a rédigé des présentations de cas grâce auxquelles nous pouvons étudier la clinique freudienne.
Lorsque Lacan a repris à son compte la présentation de malade en 1953, il l’a subvertie en la nouant à la pratique analytique. Cette subversion s’inscrit plus largement dans la rupture opérée par Lacan, avec les « standards » de la technique analytique, le savoir des maîtres avec ses « préceptes » (2), qui pour lui risquaient de faire disparaître la découverte freudienne de l’Inconscient, inconscient qui est ce reste du trauma dans le langage et échappe au sujet.
La psychanalyse n’est pas pour Lacan un idéalisme, elle ne consiste pas à s’intéresser aux idées du patient sur lui-même ou son entourage mais à pouvoir faire surgir le discours du sujet de l’inconscient. Il prône une soumission à la logique inconsciente du sujet. Lacan décale le psychanalyste du savoir faire technique, pour un « savoir y faire » concernant lalangue puis pour un « savoir y être » (3) afin que le sujet puisse se débrouiller avec son symptôme : « à ce moment là, on pourrait dire qu’il n’est plus le disciple seulement de Lacan et de Freud mais qu’il devient le disciple de son symptôme, c’est à dire qu’il s’en laisse enseigner » (4).
Ce qui s’apprend de la pratique analytique, Lacan le transpose dans le dispositif spécifique des présentations de malade, insistant sur l’écoute : « Il y en a encore pas mal à qui je laisse la parole. C’est en ça que consiste ce qu’on appelle mes présentations de malade […], cette sorte d’exercice[…]qui consiste à les écouter, ce qui évidemment ne leur arrive pas à tous les coins de rue » (5). Dans son séminaire, Lacan élabore la théorie de l’inconscient à partir d’un savoir extrait tant des présentations de malade que des cures, pour un renouvellement de la clinique analytique.
Lacan a inscrit cette pratique de la présentation de malade comme une activité d’enseignement de son École, un mode de transmission de la psychanalyse. C’est à ce titre aussi que nous nous y arrêtons cette année : quelle place encore pour l’inconscient dans nos institutions et dans la cité ?
Emmanuel Caraës
(1) L’intervention de Lacan à Henri Rousselle en 1970 : « Apports de la psychanalyse à la psychiatrie ».
(2) J. Lacan, « Acte de fondation », in Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p.229.
(3) J. Lacan, Le Séminaire, Livre XVI, D’un Autre à l’autre, Paris, Seuil, 2006.
(4) J. Lacan, L’insu que sait de l’une-bévue s’aile à mourre, séminaire inédit, leçon du 8 février 1977.
(5) J. Lacan, Le Savoir du psychanalyste, séminaire inédit, leçon du 4 novembre 1971.
Renseignements : Soizic Maleuvre, 06 18 02 43 97
- Date(s) : 06/06/2020
- Horaires : 14h30 - 17h00
- Lieu : Caramel et compagnie 3 boulevard Carnot Saint Brieuc