Argument
« Quelle vertu accordée à la relation la plus simple :
un homme qui parle et un homme qui écoute[i]. »
Maurice Blanchot fait partie des (ré)ouvreurs de langue, de ceux dont la lecture creuse continuellement l’écart avec l’usage quotidien des mots.
Cette journée, consacrée à Maurice Blanchot, tient son titre d’un chapitre de L’entretien infini, intitulé La parole analytique[ii]. Elle s’inscrit dans son siècle, teinté par l’incitation systématique à parler, héritier d’une croyance dans les bienfaits de la parole ; époque dans laquelle les dispositifs de parole se multiplient sans considérer cette question : qu’est-ce que la parole[iii] ? Époque bavarde, « cela veut dire : nous vivons dans un monde où il y a de la parole sans un sujet qui la parle[iv] ».
La parole n’est pas Une. La parole est plurielle dans ses fonctions et ses pouvoirs, ce pourquoi nous proposons de penser avec la parole analytique. Que nous revient-il de la place occupée par Maurice Blanchot, cette place du Dehors, concernant la psychanalyse ? Qu’est-ce que sa lecture éclaire encore de nos pratiques institutionnelles et du dispositif analytique ?
Occasion de poursuivre cette forme d’explication permanente avec Jacques Lacan appelée par René Major ; non pas expliquer Lacan, plutôt s’expliquer avec comme il se dit après s’être (em)brouillé avec quelqu’un. Ce que Jacques Derrida nommait « la provocation lacanienne[v] ».
Dans La parole analytique Maurice Blanchot consacre quelques pages aux spécificités de la parole analytique, d’abord comme expérience de la parole de transfert. Parole qui parle en trompant l’autre et en se trompant sur l’autre[vi]. L’analyste sera ainsi le « plus absent des auditeurs, un homme sans visage, à peine quelqu’un, sorte de n’importe qui faisant équilibre au n’importe quoi du discours, comme un creux dans l’espace[vii] ».
Plus encore, la parole analytique parle depuis la vérité, elle sollicite[viii] la vérité bien autrement que « le désir de l’immobiliser […] afin d’en disposer communément[ix] ». Maurice Blanchot approche la vérité par son nomadisme[x]. Envisagée comme telle, la vérité du sujet se maintient, tout comme celle de l’expérience analytique, en dehors du champ du religieux et de la croyance en une vérité unique, dicible, saisissable. La vérité de cette parole est toujours nouvelle, étrangère, divisante, toujours à venir. « Pensée du dehors » propose Michel Foucault[xi].
La parole analytique serait-elle alors parole à venir ? Parole pour laquelle « il ne s’agit pas d’être chez soi, mais toujours au Dehors[xii] » et à laquelle l’interprétation fournit son répondant dans cette attente pressée du moment de La réponse.
Dès lors, comment conclure lorsque ce qui prend la parole sera l’incessant[xiii] et l’interminable ?
« Hommes, écoutez, je vous en donne le secret.
Moi la vérité, je parle[xiv]. »
[i] Maurice Blanchot, L’entretien infini, Paris, Éditions Gallimard, 1969, p. 343.
[ii] Initialement publié en septembre 1956 dans le numéro 45 de la Nouvelle Nouvelle Revue française sous le titre « Freud ».
[iii] Jacques Lacan, « Variantes de la cure-type », dans Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 351.
[iv] Maurice Blanchot, « La parole vaine », dans L’amitié, Paris, Éditions Gallimard, 1971, p. 145.
[v] Cité par René Major dans Lacan avec Derrida : analyse désistentielle, Paris, Éditions Mentha, coll. « De l’homme », 1991, p. 16.
[vi] Maurice Blanchot, L’entretien infini, op. cit., p. 349.
[vii] Ibid., p. 348.
[viii] Jacques Lacan, La logique du fantasme dit « Séminaire XIV », version critique et commentée de Michel Roussan, Paris, [1966-1967] 2017, séance du 21 juin 1967.
[ix] Maurice Blanchot, L’entretien infini, op. cit., p. 350.
[x] Ibid., p. 185.
[xi] Michel Foucault, « La pensée du dehors », dans Critique, n°229, juin 1966, p. 523-546.
[xii] Maurice Blanchot, L’entretien infini, op. cit., p. 187.
[xiii] Ibid., p. 353.
[xiv] Jacques Lacan, « La chose freudienne », dans Écrits, op. cit., p. 409.
Avec les interventions de :
David Bernard : « Thomas, l’Obscur »
Il s’agira ici d’éclairer en quoi pour Jacques Lacan, Maurice Blanchot est allé « plus loin que quiconque » dans la voie de la réalisation du fantasme.
David Bernard pratique la psychanalyse à Rennes, maître de conférences en psychopathologie à l’Université Rennes 2, membre de l’École de Psychanalyse des Forums du Champ lacanien (EPFCL), et auteur de Lacan et la honte (2nd édition, 2019), La différence du sexe (2021). Il a co-dirigé Lacan avec Wedekind. Une autre lecture de l’adolescence (2019) et Pas de limites. Approche psychanalytique de la vie moderne (2021) publiés aux Presses universitaires de Rennes.
Michel Bousseyroux : « Ce que de Maurice Blanchot j’ai appris »
Je parlerai de la seule et unique rencontre de Maurice Blanchot avec Jacques Lacan. Je parlerai de ce que Maurice Blanchot a appris de Jacques Lacan et de ce qu’il a appris des poèmes de Louis-René des Forêts : il y a à être vigilent à ce qui, en prélude au sens absent, est anacrouse et dont le psychanalyste a à s’enseigner pour que ce qui de la parole n’en finit pas de naître vienne au dire premier et trouve sa respiration.
Michel Bousseyroux est psychiatre et psychanalyste à Toulouse. Il a fait son analyse avec Jacques Lacan, membre de l’École de Psychanalyse des Forums du Champ lacanien (EPFCL). Il dirige la revue de psychanalyse L’En-Je lacanien aux éditions Erès et a publié de nombreux ouvrages dont Psychanalyser le pas-comme-tout-le-monde (2022) aux Éditions Nouvelles du Champ lacanien.
Claudine Hunault : « D’une scène à l’autre objet a en jeu »
« Le médecin ne serait donc pas là pour lui-même, mais à la place d’un autre, il joue par sa seule présence le rôle d’un autre, il est autre et l’autre avant de devenir autrui. » Maurice Blanchot situe dans ces lignes ce que Lacan nommera l’objet a et il situe la position de l’analyste en tant qu’objet a : donner lieu à ce qui manque et demeurera manquant. L’actrice et metteur en scène que je suis et qui informe l’analyste entend ici dans une précision efficace de quoi est faite la présence en scène. Nous ferons d’une scène à l’autre des passages pour comprendre au plus près de la parole analytique en regard de la parole de l’acteur et l’écoute de cette parole.
Claudine Hunault est performeuse, comédienne, metteuse en scène de théâtre et d’opéra, psychanalyste, poétesse et écrivaine. Elle a fondé et co-dirigé Le Théâtre La Chamaille à Nantes, le laboratoire Le Dernier Spectateur et la compagnie Judith Productions. Auteure de Comme une épaisseur différente de l’air avec Nathalie Milon, de Heretu et les yeux de la nuit, de Désir d’Antigone, de Des choses absolument folles, Une lecture du roman Le Très-Haut de Maurice Blanchot. Elle publie dernièrement Je me petit suicide au chocolat. À l’écoute de l’obésité (2023) chez Le Nouvel Attila.
Parham Shahrjerdi : « Fais en sorte que je puisse te parler »
Mais pourquoi deux ? Pourquoi deux paroles pour dire une même chose ?
— C’est que celui qui la dit, c’est toujours l’autre.
Ainsi, commence L’Entretien infini : parole plurielle comme possibilité de parler. Un autre, tantôt silencieux, tantôt parlant, est désiré, une présence qui donne à entendre, et permet la résonance. C’est à partir de ces hypothèses que nous tenterons de nous approcher de la Parole analytique.
Parham Shahrjerdi est né en 1980 à Téhéran, en Iran, et vit en exil à Paris. Écrivain, critique littéraire, traducteur, interprète au Centre Primo Lévi et éditeur, il est notamment fondateur du site Espace Maurice Blanchot et de la revue Naamomken. Il anime, en compagnie de Benoît Vincent, la revue Hors-Sol. Parmi ses traductions : Blanchot, Duras, Bataille, Quignard et Artaud. Éditeur d’œuvres importantes de la nouvelle littérature iranienne (interdites par la censure), et, en persan, d’œuvres de J. Baudrillard, J. Butler, G. Deleuze, J. Derrida, G. Bataille, K. Acker et A. Ginsberg.
Dominique Touchon-Fingermann : « Répondre de l’Obscur »
« Maurice Blanchot, romancier et critique, est né en 1907. Sa vie est entièrement vouée à la littérature et au silence qui lui est propre. » C’est ainsi que l’auteur de L’entretien infini se présentait et signait sa curiosité généreuse de passeur de l’« obscur » autour duquel s’enroule et se déroule le texte d’un auteur.
On n’est donc pas surpris de sa juste sensibilité à la « Parole analytique » d’où il sait remarquer la topologie en spirale et en fragments, de continu en discontinu et y repérer la logique qui soutient sa trouée et sa décision de fin.
Nous retrouverons dans Thomas l’obscur les 12 fragments qui retracent une traversée.
Dominique Touchon-Fingermann pratique la psychanalyse à São Paulo et à Nîmes, membre de l’École de Psychanalyse des Forums du Champ lacanien (EPFCL). Elle a publié plusieurs ouvrages en portugais et La (dé)formation du psychanalyste en français aux Éditions Nouvelles du Champ lacanien.
Lieu
Maison des associations – Salle 012
6 Cours des alliés, 35000 Rennes (9h00-18h00)
Inscription
En présence à Rennes et par visio-conférence
Par chèque à l’ordre de l’Association Phénix par voie postale.
Bulletin à retourner à Alexandre Faure, 30 quai Duguay Trouin, 35000 Rennes
En ligne via HelloAsso :
Cette journée d’étude (Pôle Ouest de l’EPFCL-France) est organisée par Sarah Haugeard, Claudine Hunault, François Boisdon & Alexandre Faure.
- Date(s) : 10/02/2024
- Horaires : 9h00 - 18h00
- Lieu : Maison des Associations 6 cours des Alliés Rennes
- Tarif plein : 40 €
- Tarif réduit : 15 €