Je me saisis du thème proposé, « le pire » ; avec pour sous-titre, que le pire, dans la cure analytique, n’est pas sans lien avec la condition de « rebut » du parlêtre.
Je m’en saisis par un retour à un texte de Samuel Beckett, « Cap au pire » de 1982.
Plusieurs raisons à ce choix.
D’une part, Beckett manie cette matière du rebut à travers tout un travail autour de /et/ avec la lettre. « Beckett… ne laisse pas le rebut au rebut [écrit Bruno Geneste]. Il lui donne existence d’entre les hommes, il en fait le signe irréductible de l’humanité d’un être parlant[1] ».
Par ailleurs, Michel Bousseyroux qualifie le « Lacan du poème signé Là-quand » comme étant « un beckettien post-joycien[2] ». Mais qu’est-ce qu’être « beckettien » à l’aune de la psychanalyse ?
Puis, le titre « Cap au pire », est devenu me semble-t-il, la métaphore d’une certaine orientation de la cure.
Retour à ce texte littéraire, donc. Qu’en est-il ?
Ecrit en anglais, la seule traduction française qui existe est posthume.
« Encore. Dire encore. Soit dit encore. Tant mal que pis encore. Jusqu’à plus mèche encore. Soit dit plus mèche encore[3] ».
« Il est debout. Quoi ? Oui. Le dire debout. Forcé à la fin à se mettre et tenir debout[4] ».
« Essayer encore. Rater encore. Rater mieux[5] ».
Samuel Beckett parlait peu de son œuvre.
Mais en 1937, dans une lettre à Axel Kaun il évoque ce qui constitue pour lui la « plus noble ambition » d’un écrivain de son temps, à savoir « malmener » le langage[6].
« Y creuser un trou après l’autre jusqu’au moment où ce qui se cache derrière, que ce soit quelque chose ou rien, commencera à suinter[7] ».
Il y maudit la « matérialité » des mots, bruyante : « dans la forêt des symboles, les oiseaux de l’interprétation, qui n’est pas une interprétation, ne se taisent jamais[8] ».
Contrairement à la musique et à la peinture où le « silence » lui semble possible.
Dans « Cap au pire », Samuel Beckett réussit « Tant mal que pis encore[9] » à rendre silencieux les « oiseaux de l’interprétation ».
En effet, se raccrocher au sens est vain dans ce texte.
Nul scénario bien ou mal ficelé.
La matière du mot se fait plutôt peinture, pour dessiner en creux quelques images.
Hélène Lefevre-Benrebbah
[1] GENESTE B., Beckett avec Lacan : l’humus humain et le plus humain, in « Mensuel » n°143, juin 2020, p.28.
[2] BOUSSEYROUX M., Penser la psychanalyse avec Lacan : Marcher droit sur un cheveu, Villematier, Editions Erès, 2016, p.174.
[3] BECKETT S., Cap au pire, Normandie, Les éditions de minuit, 2018, p.7.
[4] Ibid., p.9.
[5] Ibid., p.8.
[6] BECKETT S., Lettres I :1929-1940, Editions Gallimard, 2014, p.563.
[7] Ibid, p.563.
[8] Ibid, p.563.
[9] BECKETT S., Cap au pire, op.cit., p.7.