Entretien réalisé par Guillaume Landry et David Bernard
Retranscrit par Guillaume Landry et Pierre Guillon
David Bernard : Que pensez-vous de la culture Hip-Hop et de sa place dans le lien social ?
Pumpkin : Elle est rarement prise au sérieux. On est en retard quand on voit ce qui se passe dans les universités américaines autour du Hip-Hop ou autour des cultures afro-américaines, et de l’impact que ça peut avoir aujourd’hui. Il y a des profs de Hip-Hop dans les universités américaines, sur tous les aspects, aussi bien l’histoire que les analyses d’écriture, l’impact que ça a sur la jeunesse, sur le politique etc… On peut voir comment tout ça est entremêlé, c’est hyper intéressant. En France, on est très en retard. J’ai l’impression qu’il y a une forme de rigidité de toute manière qui existe dans les universités.
C’est marrant parce que tu disais que les Licence 1, les étudiants qui travaillent avec toi, ils viennent de commencer leurs études, et moi c’est là où j’ai arrêté (rires). J’ai arrêté au moment où cela commençait à devenir intéressant disons. J’ai fait LEA Anglais-Espagnol. Je suis partie à Barcelone en ERASMUS. Je devais y rester 6 mois et en fait je suis restée 6 ans. J’ai voulu continuer mes études là-bas. Quand je faisais mes études à la fac à Barcelone, mon tuteur sur place était ok pour me recevoir, m’épauler, m’accompagner. J’étais un peu en retard sur le catalan mais il m’avait dit qu’avec des cours intensifs ça le ferait. Et c’est la fac de Brest qui n’a pas voulu. Ils m’ont dit « non tu ne pars pas ». Ben si en fait je pars ! Tant pis, je n’irai pas à la fac parce que c’est pas possible s’il n’y a pas d’accord entre les deux… C’est là que ça fait écho, quant à cette rigidité. Ce n’était pas possible de faire les choses simplement. J’ai donc laissé tomber pendant un an et j’ai repris après par correspondance à Toulouse. Et comme j’étais sur un job de 40 heures par semaine, plus la fac, c’était trop compliqué. Donc j’ai laissé tomber. Mais j’ai constaté que même en cours de langue, déjà à l’époque en 2001, je me disais « mais on s’emmerde en fait ! ». Et cela dépend vachement des profs, des enseignants, des gens qui sont là, la manière d’amener les choses. Pourtant j’ai l’impression qu’il y a quand même une forme de liberté que l’on peut avoir, on peut insuffler des trucs nouveaux, installer des dynamiques, comme partout. Mais moi je me suis pas mal emmerdée en fait. A Barcelone c’était mieux qu’à Brest. Enfin voilà c’était une petite parenthèse…
Guillaume Landry : Et toi que venais-tu y faire dans le travail des langues ?
Pumpkin : Dans le travail des langues ? Franchement moi j’ai toujours été à l’ouest, peut-être parce que je viens de Brest justement (rires). Mais le travail des langues… Je ne sais pas. Je n’ai jamais su ce que je voulais faire de ma vie. C’était une angoisse.
DB : Tu savais que tu voulais partir.
Pumpkin : Oui ça c’est vrai
DB : C’est un beau thème.
Pumpkin : D’ailleurs je suis partie avant, je suis partie à 16 ans un an en Australie. Dès que j’ai pu partir, je suis partie. Parce que j’avais besoin de fuir réellement. On peut utiliser ce mot là, il s’est confirmé par la suite. Ma mère est basque-espagnole et mon père est niçois, et j’ai grandi en Bretagne, donc au bout de la terre, avec ce sentiment d’enfermement. Et de ne pas être à ma place. De ne pas correspondre, de ne pas être là où j’étais censée être. Il y a eu ce truc de fuite vers l’avant. Il faut que j’aille voir ailleurs comment c’est. Je me suis rendue compte de cela après mais évidemment c’est à travers le voyage que l’on apprend à se connaître, à savoir qui on est, et ce qu’on aime. Ça m’a permis de comprendre plein de choses. Je pense que l’écriture est une manière de partir sans bouger, d’aller ailleurs, de chercher, de comprendre. Parce que je n’ai jamais su ce que je voulais faire et il y a cette angoisse-là quand on est jeune, je ne sais pas si vous l’avez senti. Je sais que l’on n’est pas tous égaux face à ça. Et moi-même encore aujourd’hui je ne sais pas, je n’ai jamais su, je pense que ce n’est pas grave, on apprend à faire avec. Mais cette pression de choisir une filière etc… Comment est-ce qu’on fait ? Il y a bien des choix à faire à un moment donné. Qu’est-ce qui me plaît ? Les seuls trucs qui m’intéressaient et pour lesquels j’avais des facilités c’était les langues : anglais espagnol. J’apprenais ça assez facilement, ça m’intéressait. Mais d’un autre côté, je n’étais pas non plus hyper littéraire au sens où à l’époque je ne lisais quasiment pas. Il y avait donc des choix à faire qui étaient problématiques. Je pouvais faire soit LEA ou LLCE. J’ai regardé et l’analyse pointue des langues, c’est pas forcément ce qui m’intéresse. C’est un intérêt que j’ai développé mais plus tardivement. J’ai des parents restaurateurs, et j’ai quand même commencé à bosser assez jeune. J’aimais bien le contact avec les gens, la vente, tout ça, ça me plaisait bien. Donc je me suis dit que c’est peut-être plus le commerce qui peut me correspondre. Je suis donc partie en LEA parce que je n’avais pas à choisir entre l’anglais et l’espagnol, c’était important pour moi d’avoir les deux langues, et je me suis dit que j’allais sans doute pouvoir voyager, et comme je me démerde pas mal, je vais pouvoir bosser un peu n’importe où, et finalement c’est ce qu’il s’est passé. Je suis arrivée à Barcelone en ERASMUS, j’ai fait mes 6 mois et c’était hyper bien. Après j’ai eu un stage à faire, mon premier stage que j’ai fait. Je suis allée faire mon stage dans les agrotourismes du Pays Basque espagnol, c’était hyper intéressant. Après, c’était le moment de décider si je rentrais à Brest ou si je restais à Barcelone, et donc sur un coup de tête durant un weekend avec mon copain qui était avec moi à l’époque à Barcelone, on a décidé de rester.
DB : C’est ça, sur un coup de tête.
Pumpkin : Ouais.
DB : Il y a souvent des décisions importantes qui se prennent sur un coup de tête.
Pumpkin : J’ai fait confiance à mon instinct. Je suis donc restée à Barcelone et j’ai fait plein de jobs. Et j’ai repris mes études avec la fac de Toulouse, un peu à reculons, et au final c’était trop compliqué de bosser. Ce qui m’intéressait réellement dans le fait de reprendre mes études, c’est d’avoir ce deuxième stage. Parce que je me suis dit que si je voulais sortir de ces jobs un peu nazes et bosser réellement dans un truc intéressant et stimulant, eh bien c’est peut-être par le biais d’un stage que ça va pouvoir être possible. Et ça n’a pas loupé. Je suis rentrée dans une boite pour un stage pendant deux mois et après on m’a proposé un CDI. Je suis restée là pendant un temps et de fil en aiguille j’ai fait plein d’autres trucs. Sans jamais rien programmer. En étant toujours open aux rencontres et à ce qui arrive. En étant un peu confiante sur mes capacités à me réinventer, à rebondir, à prendre ce qui vient. Tout en changeant à peu près tous les 1 an et demi / 2 ans de job parce que je m’ennuie très rapidement quand j’ai l’impression d’avoir fait le tour d’un truc. Il n’y a que pour le rap ou l’écriture où je n’ai jamais fait le tour. En fait j’ai commencé à écrire comme une gamine dans sa chambre parce qu’elle a un prof ou une prof de français qui était sans doute assez intéressant, et qui m’a donné envie d’écrire. J’avais des choses à sortir mais ce n’est pas forcément passé par la parole parce que c’était peut-être compliqué pour moi à l’époque de m’exprimer ou de dire des choses. J’étais bizarrement assez introvertie d’un côté, mais extravertie de l’autre, c’était un peu bizarre. Plutôt à l’aise pour raconter des conneries, mais dès que ça touche à des choses un peu plus sérieuses, c’est un peu plus difficile de parler. Donc j’écrivais un peu comme on tient un journal intime. D’ailleurs quand j’étais petite j’en avais, j’écrivais des conneries de petites filles et de fil en aiguille, j’ai commencé à écrire des trucs qui ressemblaient à des poèmes un peu nianian. Je les gardais pour moi, je ne les faisais lire ça à personne.
GL : Et il y a avait déjà ce travail de la langue ? Parce que tu rappes en français, en anglais..
Pumpkin : Non, ça c’est venu bien plus tard. À ce moment là j’écris sans réfléchir. J’écris comme quelqu’un va prendre un pinceau et peindre. J’ai l’impression qu’instinctivement c’est l’outil vers lequel je me suis dirigée. Et cette recherche de la rime etc… m’a intéressée. Ça c’était bien avant le rap. J’écrivais ces espèces de poèmes.
DB : Qu’est-ce que tu aimais bien là, dans les mots ?
Pumpkin : Les faire sonner ensemble, trouver des rimes. Et puis ce truc de réussir à mettre des mots sur des choses que je ressentais, je pense qu’il y avait ça aussi.
DB : Il y a quelque chose du côté du son, de ce qui résonne, et quelque chose du côté de ce que ça dit.
Pumpkin : Ouais de ce que ça dit mais à ce moment là on n’est pas dans l’oralité, on reste à l’écrit. Et ce que moi j’ai analysé par la suite comme étant le premier impact vraiment fort et important quant au rap, c’est le premier album d’MC Solaar en 1990, Qui sème le vent récolte le tempo. Moi je deviens complètement folle de ce mec-là et de sa musique. D’ailleurs on parle souvent de l’identification à des gens qui nous ressemblent, et on me pose souvent cette question-là. Et je me rends compte que moi la personne qui m’a donné envie de faire du rap c’est un mec noir qui vient de banlieue parisienne. On n’a absolument rien en commun, ni physiquement, ni sur le background, ni sur l’histoire. Et pourtant ! Je n’ai pas eu besoin de voir une femme qui me ressemble pour avoir envie de faire pareil, même si par la suite je me suis rendue compte que non seulement il y a ce truc-là qui me plait, et en plus il y a des meufs qui le font ! Ça aide. Mais en tous cas au départ c’est vraiment Solaar.
GL : Pourquoi ?
DB : C’est le texte ?
Pumpkin : C’est le texte oui, mais au départ c’est l’énergie globale du truc. C’est-à-dire qu’il y a la musique, mais il y a les clips aussi. A ce moment-là, je consommais vachement de clips. Et ça participe de l’énergie globale du truc aussi, il y a cet impact-là qui pour moi est important. Et puis je me suis rendue compte qu’on pouvait chanter sans savoir chanter. Je ne comprenais pas ce qu’était le rap mais je voyais bien que c’était scandé, il n’y avait pas de chant. Je trouvais ça génial. Mon père qui est musicien me faisait des enregistrements de cassettes des hits du moment, du top 50 dans les années fin 80 ou 90. J’apprenais ça par cœur mais lui me disait que je ne chantais pas bien, que je chantais faux. Je pense que quand on est petite et qu’on chante comme ça chez soi on a tous un peu ce truc de « peut-être un jour je serai chanteuse », je ne sais pas, il y a peut-être des phases comme ça. Je pense qu’à un moment donné ça a du me faire chier que mon père me dise que je ne chante pas bien et donc je suis restée là-dessus. Et là il y a ce mec-là qui fait ce truc-là. Et je crois que j’ai fait le lien entre ce que moi j’écrivais et ce que lui il écrivait. En fait il y avait les mots qui n’étaient pas du chant, mais c’était de la musique. Et il y avait des rimes et donc ça m’a parlé tout de suite en fait. Et il y avait cette énergie.
DB : C’est quoi ?
Pumpkin : Dans les clips il y avait des danseurs, et moi j’aimais ça la danse. Il y avait plein de couleurs, de la poésie en même temps. Ça disait des choses intéressantes et en même temps, rien que musicalement, si on sépare le texte de la musique, ça me mettait dans un good mood, ça donnait envie de danser. C’est un petit peu un truc que j’ai pris en pleine gueule et sans bien comprendre pourquoi au départ. Moi j’étais fan de ce mec-là !
DB : Tu étais à Brest là ?
Pumpkin : Oui. Et donc j’étais fan, j’achète le CD. Et dans le CD il y avait les paroles. Alors je rap avec lui, et en fait en lisant les paroles il y a plein de choses que je ne comprends pas. Ça me permet de creuser et d’aller chercher dans le dico, de chercher la signification de certains mots, d’analyser comment c’était fichu ce qu’il racontait, où étaient placées les rimes, les accélérations, les flows… Tous ces mots-là, à l’époque, je ne savais pas du tout ce que c’était, mais il y avait l’intérêt de comprendre comment c’était construit. Et le fait de faire cet acte-là, de rapper en même temps, il est hyper important puisque c’est la première fois via l’imitation que j’entre dans le rap.
DB : Tu disais être un peu enfermée à Brest. Il y a un effet d’ouverture dans cette rencontre-là ?
Pumpkin : Je ne sais pas trop. Par la suite oui c’est sûr, parce qu’après je comprends ce qu’est le rap, ce qu’est la culture Hip-Hop. Parce qu’à ce moment-là, l’un ne va pas sans l’autre. On constate aujourd’hui qu’une partie du rap s’est complètement détachée de la culture Hip-Hop. Mais à ce moment-là, par le rap, je comprends ce qu’est la culture Hip-Hop et les valeurs qu’elle véhicule, et ce que ça dit. Le Hip-Hop, ce qui est génial c’est que c’est la liberté totale. Il n’y a pas d’école, pas de cadre, on apprend les choses par soi-même.
GL : Il y a les cours d’écriture ?
Pumpkin : Comme il y a des cours de danse mais moi je ne fais pas de cours d’écriture, je donne des ateliers, des workshops d’écriture etc… Mais d’ailleurs dans mon approche, ça c’est hyper important. Moi ce qui m’a plu c’est qu’il n’y a pas un conservatoire, pas un endroit où tu vas, et à priori ça a l’air chiant et tu t’assoies, et t’apprends, et t’écoutes. Je me faisais chier à l’école, je ne me sentais pas à ma place. Même si je faisais des efforts je faisais partie de ces élèves qui s’accrochaient et pour qui c’était important, mais n’empêche que j’étais pas heureuse, ça ne me plaisait pas. Ça m’angoissait plus qu’autre chose le système scolaire, la manière dont on punit plutôt que de nous aider à nous épanouir selon nos personnalités. Et d’un seul coup je prends ce truc-là comme étant le lieu rêvé. Qui n’existe pas parce que ce n’est pas un endroit.
DB : Oui, mais un lieu quand même.
Pumpkin : Exactement, parce que c’est ton espace de liberté, de création, et tu fais ce que tu veux. Et en plus ce qui est génial c’est qu’à ce moment-là ce qu’on nous dit dans le rap, les messages, ce qui était important à l’époque, et qui n’existe plus trop aujourd’hui, c’est : fais à ta personnalité, fais-le à ta sauce. Ce qui était bien vu à l’époque dans le rap c’était de venir avec sa patte. De ne pas faire comme l’autre. De développer son style, de ne pas être dans l’imitation des autres. Ce n’est pas pour rien qu’à cette époque-là cohabitaient, même dans un même groupe, plein d’identités. Toutes les singularités pouvaient s’exprimer avec des flows différents, des vocabulaires différents.
DB : Un espace où l’on pouvait créer son style.
Pumpkin : Et s’approprier les codes du rap à sa sauce. Le réinventer. C’est un truc qui se réinvente en permanence. C’est pour cela que ça continue d’exister. Car chaque génération se l’approprie et en fait un truc.
GL : Mais tu fais une différence entre ce qui se passait avant et ce qui se passe maintenant ?
Pumpkin : Oui bien sûr. Mais rien que pour ça il faudrait deux jours de discussion. Il faut faire attention, je ne dis pas que ce n’est pas bien. Souvent c’est le discours que l’on a tendance à mettre dans la bouche des anciens. Évidemment il y a des choses que l’on a perdu et qui moi me chagrinent un peu. Mais il faut accepter cette évolution. Mais moi j’ai l’impression de trouver une place. Dans quelque chose où je me sens bien. Et donc dans cette culture-là il y a la danse, il y a le rap, il y a le DJing, le graffiti, il y a toutes ces choses et à cette époque-là il y avait aussi des discours qu’il y avait dans le rap qui moi m’ont permis de commencer à me faire un peu une conscience politique. Dans ma famille on ne parlait pas de ces choses-là. Ils s’en foutaient un peu de la politique, et de toute façon il travaillaient tellement que moi je les voyais peu. Je n’étais pas dans une famille où ces questions-là étaient hyper importantes. Et à travers le rap il y avait beaucoup d’artistes engagés. Pour moi le rap ne doit pas avoir nécessairement cette étiquette de « conscient » ou d’ « engagé ». Ça ne veut pas dire grand chose. C’est aussi de la musique pour s’amuser et danser, et on n’est pas obligé de dire des choses forcément hyper profondes. Et j’aime bien cette pluralité, le fait qu’il puisse exister sous toutes ces formes-là de rap.
DB : Tu le dis dans un de tes morceaux, que d’une certaine façon il y a DES raps.
Pumpkin : Oui il y a DES raps. On a tendance à tout simplifier au maximum, on passe tout à la moulinette. Le rap on lui colle plein d’étiquettes, qui sont peut-être en partie vraies, mais il n’y a pas que ça… Bref c’est l’histoire de toujours. Le rap c’est quelque chose qui touche à cœur et que l’on sait riche, c’est même important on peut dire, parce que c’est la première culture dans le monde pour les jeunes, ça touche tout le monde c’est la première musique écoutée en France et aux Etats-Unis. La France c’est le deuxième pays qui produit le plus de rap après les Etats-unis. C’est un truc hyper important, on ne peut pas continuer à prendre ça à la légère. Moi ça m’a permis de comprendre le Front National par exemple, les gens en parlaient beaucoup dans les morceaux à l’époque… De fil en aiguille j’ai découvert le sampling : dans les années 90 les instrus c’est fait à partir de sampling, on prend de la musique qui existe déjà, des échantillons de musique préexistante. De la funk, du jazz, de la soul, tout ça, et on en fait une instru. Si on s’intéresse un minimum à l’origine des choses, et c’était une valeur importante à ce moment là dans ce milieu-là, alors il y avait cette importance de connaître l’histoire du rap, du Hip-Hop. Ça te force à avoir cette forme de responsabilité, de respecter ça. Moi ça m’a permis de m’ouvrir au jazz, à la soul, alors que j’écoutais que du top 50. Et ça m’a permis de m’intéresser à l’histoire de l’esclavagisme. Petit à petit ça ouvre. Beaucoup de ma culture générale s’est faite par le biais du rap et du Hip-Hop. Tu tires sur un fil et il y a 50 milles truc qui arrivent. Ça permet d’apprendre plein de choses. Moi j’ai grandi à Brest, il y avait toutes les émeutes parisiennes au moment de la sortie du film La Haine. La bande originale de La Haine c’est une des cassettes que j’ai le plus écoutée et on y apprend plein de choses sur la société française de l’époque. C’est une photographie de ce qui se passe dans les quartiers. Ce discours-là je ne l’aurais pas entendu à l’école.
DB : Avec Guillaume lorsque l’on échangeait, on se posait la question de l’importance de la rue comme espace, un peu en dehors, dans cette culture-là.
Pumpkin : Alors c’est marrant… J’espère que vous allez rencontrer quelques personnes avec d’autres background, je pense que c’est hyper important. Dans le rap il y a cette foutue question de la légitimité, qui est là en permanence, qui existait peut-être vachement plus à l’époque. Ça change. Pour plein de gens moi je ne suis pas légitime pour rapper. Parce que je ne viens pas de la rue, je ne viens pas d’un quartier, parce que je suis une meuf, parce que je suis blanche, ça peut être plein de raisons. Certaines personnes ne me prennent pas au sérieux et me mettent dans la case des Iencli… ça vous dit quelque chose ?
DB : Guillaume m’a expliqué ça dans la voiture en venant.
Pumpkin : Alors c’est marrant parce que moi je reste une artiste de l’ombre, une artiste underground, pas connue etc… mais n’empêche, qu’on le veuille ou pas, cela fait plus de 20 ans que j’ai commencé à rapper. Donc moi j’ai commencé à rapper à une époque où cette étiquette-là (de « iencli ») elle n’existait pas. Il y en avait d’autres, j’en ai vu plusieurs passer. Mais moi ça me fait rire. On a des nouvelles manières de séparer les gens maintenant. L’époque où moi j’ai commencé à écouter du rap, c’était vachement moins segmenté, on se mélangeait dans les concerts. Je suis allée voir des concerts importants à mon époque, Cut Killer en 98, je suis allée voir Assassin. Et en fait on avait une espèce de culture commune qui nous rassemblait. Des gens différents, des rockeurs étaient là, des grand frères et des plus petits, chacun pour des raisons différentes. On se mélangeait, et aujourd’hui je constate que l’on est dans une ère de plus en plus hyper segmentée. Nous on est bien placé pour s’en rendre compte parce qu’on fait des concerts tout le temps, on se retrouve à ouvrir pour d’autres personnes. On s’est retrouvé à ouvrir pour PLK au Mans et le concert s’est assez mal passé pour nous parce que le public de PLK n’est majoritairement pas open à notre proposition artistique. Public très jeune. Je ne dis pas que tous les jeunes sont comme ça parce qu’on s’est retrouvé à ouvrir pour d’autres artistes dont le public a le même âge, mais était un peu plus ouvert. Par exemple le public d’Angèle ou de Kikessa qui est un autre rappeur de Nancy qui joue plus sur le côté 90’s… Mais pendant les concerts d’artistes genre Lomepal, Romeo Elvis, le public c’est des copies en plus jeune de ce qu’il y a sur scène. Il n’y a pas de mixité sociale, pas de noir quasiment, et on se dit : « tu te rends compte, il n’y a que des blancs ». Il y a un truc qui me choque. Le rap s’est segmenté. On fait parfois des ateliers ou des rencontres et quand on se retrouve avec des jeunes de quartiers difficiles, avec de la mixité, des jeunes dont les parents sont issus de l’immigration eh bien les groupes qui sont cités ça n’a rien à voir. Et on ne nous cite jamais Lomepal, jamais Romeo Elvis. On va nous citer Niho, Niska, Kaaris. A Aurillac on a rencontré des jeunes qui font de la zic, un peu plus âgés, et c’étaient que des blancs qui nous ont cités que des rappeurs blancs. Et on leur parle de rap américain et ils ne nous citent qu’Eminem. Et nous on était sur le cul. On ne le constatait pas il y a quelques années, c’était vachement plus mélangé. On a joué avec Guizmo qui vient de Marseille et qui faisait partie de la bande de Nekfeu, L’Entourage, et qui est parti sur un rap un peu plus caillera. Je suis sûre qu’aujourd’hui il n’a pas le même public que Nekfeu, c’est pas les mêmes profils dans le public. C’est un truc qu’on constate. Ça a beaucoup changé.
GL : Mais tu dis que le mot iencli n’est pas arrivé à ce moment-là ?
Pumpkin : Non le mot est récent. Du clivage, il y en a toujours eu, mais il se basait sur d’autres choses : est-ce que tu dis des choses bien par exemple. Ou la légitimité, le fait d’être en phase avec ce que tu vis. Nous on ne pouvait pas… Ce truc de la rue est hyper important. Ce qui est drôle c’est qu’on reproche à Roméo Elvis d’essayer d’avoir une street-cred. La street crédibilité, ça c’est un concept important dans le rap. Etre street cred c’est venir de la rue, ça veut dire avoir dealé, vécu les difficultés de la vie de quartier, mais faut savoir que beaucoup s’inventent une vie. Pour certains c’est important d’avoir cette image-là, cette street cred alors que pour d’autres pas du tout. Ce truc-là a toujours été.
DB : Tout à l’heure quand on parlait de la rue on l’entendait comme quelque chose de symbolique, le dehors.
Pumpkin : La rue c’est aussi par opposition à tout ce qui est officiel. Tout à l’heure je disais que le rap n’a pas d’école, il est né dans la rue et il s’est vraiment fait dans la rue. Même les blocs partys c’était dans la rue.
GL : Et même tous les arts du Hip-Hop finalement se font dans la rue.
Pumpkin : Oui c’est ça, ça vient de là.
DB : Mais le risque, c’est que ça devienne paradoxalement un truc identitaire maintenant, et que si on ne vient pas réellement de la rue on ne soit pas crédible.
Pumpkin : On n’est pas légitime. Voilà. Ce qui est drôle et paradoxal, c’est que souvent il arrive que moi et Vin’s avec qui je bosse, comme on ne rentre pas d’un point de vue de l’image dans un des clichés du rap, et bien les personnes qui n’ont pas envie de creuser, et qui sont de plus en plus nombreuses, ils vont se contenter de nous juger à nos gueules, à l’image. Et dire que l’on n’a pas le droit de rentrer dans le rap parce que ce n’est pas notre culture etc… Contrairement à des gens qui ont tout l’apparat pour rentrer dans la case rap, toute l’imagerie d’un certain rap, et qui a priori sont plus respectés d’emblée parce que ça a l’odeur. Sauf que quand on creuse un peu on se rend compte que dans notre manière de fonctionner avec Vin’s, le fait qu’on ait monté notre label, qu’on soit indépendant, le fait de ne pas avoir signé en major, qu’on soit plutôt des artisans de la musique, ça et le travail qu’on fait dans le milieu associatif, les ateliers etc, et bien en réalité, quand on regarde et quand on creuse, on est normalement beaucoup plus légitime que plein d’autres gens qui se la racontent. Dans la réalité des choses on peut démonter ces histoires ne se basant que sur l’image.
DB : Et là on en revient à la langue et au texte, à l’importance du texte au-delà de l’image.
Pumpkin : Mais là on parle de personnes qui ne font même pas la démarche d’aller écouter aussi. Et puis après si on creuse, je pense que c’est important de parler en terme de rap(s) au pluriel. Comme il y a des rock, plein d’esthétiques différentes.
GL : Mais en même temps pour le rock il y a tout un tas d’étiquettes qui sont placées. Il y a le rock psychédélique, progressif, etc… On multiplie les mots pour les qualifier alors que dans le rap il y a très peu de mots pour les différencier.
Pumpkin : Pourtant il y en a beaucoup aussi, il y en a plein. Le truc aussi c’est que tout dépend de qui parle. Souvent, les gens qui en parlent ne s’y connaissent pas, mis à part deux ou trois personnes. Mais souvent quand les gens en parlent, c’est de la branlette. Il y a plein de raps et de sous-genres. Par exemple il y a la trap, et la discussion actuelle c’est: est-ce que la trap c’est du rap ou un genre à part? Beaucoup vont considérer la trap comme un genre à part, mais c’est parce que ça les arrange de se déresponsabiliser de certaines choses, de ce qu’implique le fait d’avoir l’étiquette rap, ce bagage. Ça c’est ma théorie. Je pense qu’il y a une partie qui est beaucoup plus punk et qui fait de la musique pour la musique et qui se fiche complètement de toute l’histoire, de tout ce qui s’est passé, et qui ne s’intéresse même pas à d’où ça vient.
DB : Pour toi il y a une responsabilité.
Pumpkin : Moi j’ai grandi dans la culture Hip-Hop avec ce truc-là. Je pense que ça peut empêcher d’une certaine manière, ça peut complexer. Et je pense que la nouvelle génération est plus décomplexée, c’est à dire qu’elle s’autorise beaucoup plus à réinventer en permanence, à tester des choses, à mélanger les genres et à s’approprier les nouvelles technologies aussi, pour réinventer.
GL : C’est comme ça que tu qualifiais l’essence du rap, comme quelque chose de très libertaire où chacun devait trouver son style.
Pumpkin : Mais paradoxalement, il y a plusieurs écoles. Il y a les gardiens du temple qui considèrent qu’un DJ ne peut pas mixer avec autre chose qu’une platine et un vinyle. À partir du moment où les outils plus modernes sont entrés en jeu, par exemple le boitier qui permet de mixer avec du mp3 et même des CDs, certains considéraient que ça dénaturait l’essence de l’art. Mais j’imagine que dans toutes les mouvances artistiques il y a ces questions-là qui entrent en jeu. Moi j’ai grandi avec des gens plus âgés qui défendent ça et qui te l’expliquent, qui ont cet amour du savoir-faire. C’est long d’apprendre à mixer avec des vinyles, tandis que tout est simplifié avec la nouvelle technologie. Les questions se posent : est ce que ça perd de son âme ? Etc. C’est hyper intéressant. Et je constate qu’aujourd’hui on s’est séparé de ça, et les new generations sont décomplexées, ce qui est rafraîchissant, mais je m’interroge. Je me dis que ce qui est dit dans les textes c’est important, je me rends compte de l’impact positif que l’on peut avoir quand on a autant de gens qui nous écoutent. Et ce qui me chagrine c’est qu’on ait les canaux de distributions et les algorithmes qui choisissent pour toi. Si tu n’es pas quelqu’un qui digg et qui va chercher les choses. Tout ça pour revenir sur le fait de segmenter les scène rap : si tu n’écoutes que du Ninho sur Youtube, tu ne vas avoir que des propositions dans ce genre-là donc on ne va pas t’ouvrir à autre chose. Et comme maintenant tout est lié et basé sur les vues et que l’on met en avant que ce qui cartonne, et bien on distribue du macdo à tout le monde, du macdo de musique. Et en soi je ne trouve pas ça problématique que ça existe, ça ne me dérange pas. Ce qui me dérange c’est qu’il n’y ait que ça qui soit proposé et qu’on réduise le rap à ça. Et par la force des choses, ce qui s’est passé, c’est que le rap, qui avait mauvaise presse avant, est devenu une musique pour enfants mais avec des paroles extrêmement futiles ou hardcores. Notre public n’est pas sur youtube, il a des enfants, un taf, des factures à payer etc… donc ce n’est pas un consommateur excessif de musique sur internet. Pourtant toute l’industrie de la musique ne se concentre maintenant quasiment plus que sur le streaming, le numérique. Donc on ne parle qu’à une partie de la population, et les groupes de rap qui font les choses différemment, et qui ont un public plus âgé, on n’est pas aidé, parce qu’on ne fait pas du chiffre, on ne rapporte pas. On vit à nouveau une époque où il y a de l’argent dans la musique. Il y a eu une période de creux mais là le stream cartonne, il y a à nouveau de l’argent dans la musique, simplement…
GL : C’est focalisé sur un endroit..
DB : Sur ce qui marche, sur ce qui fait du chiffre.
Pumpkin : C’est beaucoup le chiffre que l’on met en avant. Evidemment il y a des exceptions. Mais le côté pervers c’est qu’il n’y a pas tellement de choix, paradoxalement. C’est le principe d’internet, il n’y a pas longtemps quelqu’un disait : l’accès à toutes ces connaissances, paradoxalement, rend une partie des gens un peu plus con. Donc il y a beaucoup de musique géniale qui existe et qui est créée, simplement tout est noyé dans la masse d’informations et l’offre, donc c’est la bataille pour exister là-dedans, c’est David contre Goliath. Quand on sert du macdo avec beaucoup de sucre bah les gens aiment ça donc consomment plus. Et quand ce sont des choses plus difficiles à apprécier, s’il n’y a pas quelqu’un pour expliquer, inviter à apprécier ça, alors on n’y va pas. Et les médias ne font pas ça. Peut-être les grandes sœurs, les grands frères, les parents, mais c’est de moins en moins le cas.
GL : Tu parlais de bataille pour exister, comment te loges-tu là-dedans ?
Pumpkin : En fait nous on a créé une économie hyper fragile, extrêmement fragile. On existe aussi grâce aux programmateurs de salles ou de festivals qui se disent qu’ils veulent proposer autre chose, une contre proposition. Il y a le macdo et le petit producteur du coin. On va vous appâter avec ça et vous venez voir ça, mais en première partie on va vous passer ça. On joue dans un réseau en France qui est subventionné, et sans ça on n’existerait pas, on ne ferait pas de concerts, puisque nous tout seuls on ne remplit pas les salles et que les « SMAC de France » etc… sont financées par l’état, les villes etc… et ont une mission d’éducation, de développement d’artistes locaux etc… Donc nous on est aidé vachement par ça. Et comme on n’a pas les moyens d’avoir la force de frappe d’Universal à base de publicité, à base de mise en avant dans les playlists spotify, parce que c’est le nerf de la guerre maintenant d’être placé là, et bien c’est plus lent. Là où un rappeur gagne 800 followers parce qu’il sera vachement mis en avant avec son nom, nous ça va être deux trois par concert.
DB : En même temps il y a peut-être quelque chose de plus authentique qui se transmet.
Pumpkin : Bien entendu. Nous ce sont des choix que l’on fait, après rien n’est tout noir ni tout blanc, c’est toujours gris en permanence. Mais ce sont des choix que l’on fait et c’est hyper gratifiant.
DB : Dans ces évolutions, as-tu le sentiment que tes textes ont également évolué ? Ce que tu as envie de dire?
Pumpkin : Ça évolue en permanence, je pense qu’en temps qu’être humain avec les années on évolue. Même si je constate que certaines personnes ont arrêté d’évoluer, ça existe. En tout cas moi j’ai toujours envie d’apprendre, de chercher, de creuser. Et donc ça évolue en permanence. Il y a plusieurs choses : il y a le fait du travail en soi d’écriture et de flow, de technique, qui permet de devenir meilleur, plus précis, et de l’autre côté il y a le fait de grandir en temps que personne et artiste. Et donc de comprendre des choses et d’avoir envie de les injecter là-dedans.
DB : Et ce travail textuel / technique, comme tu dis au niveau du flow, concrètement comment tu fais ce travail-là ? Comment tu manies ça ?
Pumpkin : Nous comme on fait tout tout seul, malheureusement ou heureusement, je ne peux pas me payer le luxe d’être que artiste et donc de faire que ça de mes journées. Comme certains. Par moment ça m’emmerde, parce que par moment je voudrais juste pouvoir m’occuper de ma créa et puis je pourrais aller faire des stages pour apprendre à faire des trucs, travailler avec d’autres artistes pour avancer et créer des machins. Bon et bien je suis limitée là-dedans parce que je dois m’occuper de pleins d’autres choses. On a un booker mais c’est moi qui dois m’occuper de la prod des concerts, je dois faire de la comptabilité, faire plein de choses hyper chiantes, plus de choses chiantes que pas chiantes d’ailleurs, mais bon c’est comme ça. Ce qui fait que je n’écris pas à longueur d’année donc il y a des cycles qui se mettent en place, il y a une étape de création et d’enregistrement puis une étape de mix mastering, puis après faut penser à la sortie, des rétroplanning qui se mettent en place. Là actuellement on est sur la fin de la promo de notre album sorti en novembre et on est en tournée. Et depuis même pas un mois on vient de commencer un nouveau cycle de création. Vin’s est en train de composer des nouvelles instrus et moi je prends des notes. Je n’écris pas à longueur d’année dans le sens où je n’écris pas des chansons, mais je prends des notes en permanence. Tout le temps, tous les jours dans mon tel, sur du papier, sur mon ordi.
DB : Tout le temps ?
Pumpkin : Tout le temps. Là par exemple on parle et il y a un mot que vous allez dire ou un truc qui va me faire penser, et dès que je l’ai je le note parce que sinon après c’est la cata. Ça m’arrive de me dire que je m’en souviendrai et on ne s’en souvient jamais, et c’est la cata.
DB : Donc c’est le petit truc qui vient, c’est la petite ampoule qui s’allume.
Pumpkin : Ouais c’est ça et j’en ai à chier dans tous les sens…
DB : Ce sont plus des mots ? Des idées ?
Pumpkin : Alors c’est tout. Parfois ce sont des phases en rap avec des rimes.
DB : Des phases ça veut dire quoi ?
Pumpkin : Ça ne veut rien dire. Mais en fait dans le rap on a des manières de dire qui sont inventées, qui ne sont pas correctes. Une phrase c’est un bout de texte.
GL : C’est un vers.
Pumpkin : Ouais ça peut être plus en fait, mais on peut dire ça. Ou une punchline, c’est une phrase choc, pour reprendre la cité de la peur qui est un de mes films favoris. Ça peut être un mot qui va venir comme un titre potentiel. Avec l’expérience on apprend à se connaître, il y a une forme. Maintenant la Pumpkin d’aujourd’hui elle prépare le terrain pour la Pumpkin de dans six mois et parfois j’écris des idées de thèmes de morceaux, des sujets qui me touchent, qui me tiennent à cœur et tout ça complètement en bordel.
DB : Ce n’est pas : tu es à une table et tu cherches les idées. Ce sont les idées qui viennent, qui arrivent par moment et là tu les notes.
Pumpkin : Non je ne fais pas ça : « ah bah tiens c’est le moment pour écrire un morceau ! ». Ça pourrait, je l’ai déjà fait par le passé, mais c’est un exercice inverse, tu te retrouves avec un gars qui veut faire une collaboration et ou quelqu’un qui t’envoie un son et dans ce cas-là tu dois écrire direct. Mais en général maintenant comme j’ai toute cette banque, pour moi c’est de la matière pour plus tard, c’est comme si j’étais sculpteur et que j’allais ramasser des matériaux à droite et à gauche. J’emmagasine et quand vient le moment d’écrire j’en reviens à toutes ces notes.
DB : Et ces notes ça peut être à partir du sens ou parce que ça sonne bien ?
Pumpkin : Parfois c’est juste un mot, que j’entends et que je n’utilise jamais parce que je ne l’entends pas d’habitude. Et parfois quand je note je ne sais même pas dans quel sens ça va aller, je vais juste dire : toi tu vas là. Après j’ai cette forme de psychorigidité. Comme j’ai tendance à tout le temps trop analyser et être plutôt cérébrale etc, j’essaie au maximum de préserver ce truc-là et de rester sur un truc instinctif, de ne pas trop réfléchir. Parfois je ne me pose pas la question de savoir si ce mot-là, cette phrase-là elle est super. Je la mets là mais je passe à autre chose. Parce que je pense que je risque de… il faut parfois arrêter de trop réfléchir.
DB : C’est justement pas de la pensée au sens d’une réflexion. C’est ce que tu notes, c’est un espace.
Pumpkin : Vraiment je ramasse, c’est ce que je dis souvent en interview quand on me pose la question, à longueur d’année je fais l’éponge. Je me mets en position de réceptacle d’idées et ça je m’en suis rendue compte sur la création de l’album précédent. Sans m’en rendre compte il y a quasiment tout qui est là pour écrire. C’est hyper agréable parce que je suis plutôt dans une anticipation de la difficulté, et c’est du taf quand j’écris. Je dois prendre un certain plaisir à me retrouver dans des situations qui posent difficulté pour après avoir la satisfaction d’avoir réussi à m’en sortir en faisant quelque chose qui me plait, mais ce n’est pas une partie de plaisir. On se fait du bien en se faisant mal. En écoutant des interviews de rappeur je me rends compte qu’il y a plein de gens comme ça qui aiment bien mais pour qui c’est pas simple. Et après une fois que je vais écrire un morceau, je me mets à écrire que quand j’ai la musique. Vin’s a commencé à faire des instrus, il les a mises sur une clef, je les ai mises sur mon ordi, et l’étape suivante c’est de mettre les sons toute seule chez moi. Je ne peux pas écrire un morceau si je sais que j’ai un RDV dans une heure par exemple ou si je sais qu’on va m’appeler ou si je sais que je dois faire du ménage. J’ai besoin de me créer ce moment où je sais que je vais être disponible. Il faut que mon cerveau se mette en route, en mode création, donc je ne sais pas quelle partie du cerveau, mais c’est l’autre partie du cerveau, pas celle que j’utilise la plupart du temps. Et alors une fois que je suis lancée c’est un état dans lequel je suis coupée du reste.
DB : Et là c’est non stop pendant une certaine période ?
Pumpkin : Parfois c’est plusieurs jours, parfois 10h00-15h00… Mais par exemple si je veux dormir la nuit en période d’écriture, si je veux faire des nuits correctes, alors je n’écris pas le soir, parce que sinon je ne dors pas et c’est intenable de mal dormir. Et j’ai pas envie, j’ai complètement passé ce stade d’avoir envie d’être quelqu’un de torturé dans ma vie. J’ai suffisamment de bagages merdiques dont j’essaie de me séparer, je n’ai plus envie de ruminer sur ces trucs-là. C’était un peu ça le premier album et tout qui était vachement plus comme ça, introspectif, un peu dépressif… L’artiste : « j’écris la nuit parce que… ». Nan j’ai envie d’être heureuse, j’ai envie d’être bien donc je fais attention. Il ne faut pas que ça nuise à mon bien-être. Pendant des années j’ai pensé que c’était mieux d’écrire la nuit et je me suis rendue compte que le matin après mon petit-déj’ en fait c’est super. Par contre personne m’emmerde. Mail je ne réponds pas, téléphone je ne réponds pas.
DB : Tu parles du temps, et est-ce que tu as un lieu aussi pour écrire ou est-ce que tu te fais ton lieu n’importe où ?
Pumpkin : Ça j’ai essayé mais non, je pourrais écrire ici. J’essaye de me renouveler en permanence dans ma manière d’aborder les morceaux et les techniques de travail. C’est ce que je dis beaucoup en atelier et que les personnes ont du mal à comprendre mais je pense que vous allez comprendre facilement. Je crée de l’inconfort dans ma zone de confort.
DB : Tu dis ça dans un des textes, j’ai beaucoup aimé cette formule.
Pumpkin : Mais en fait c’est important de sortir de sa zone de confort en permanence parce que je pense que c’est là qu’il y a des chose intéressantes qui se passent, mais faut quand même être son meilleur pote, c’est à dire prendre des risque un peu mais savoir ce qui nous convient pour pouvoir être à l’aise et bien, pour que se soit propice à… En général je ne me douche même pas, je reste toute la journée s’il faut en pyjama. Alors dans l’appart dans lequel on est je n’ai pas encore créé, c’est la première fois. Avant je créais dans d’autres endroits. Mon album précédent je l’ai écrit dans ma chambre, avec mon ordi et c’est tout. Mais ça, ça vient aussi du Hip-Hop, ce truc de se dire que l’on attend la situation idéale pour faire les choses. Parfois ça nous arrive de se dire que ce n’est pas le moment, qu’on va attendre qu’il y ait ça de mieux et en réalité ça, ça ne marche pas. Si tu as réellement envie de faire un truc, un album, tu n’as pas besoin de faire beaucoup d’argent. Si tu as envie d’écrire un morceau tu n’as pas besoin d’une chambre à toi avec une certaine couleur au mur qui t’inspire… Ça peut être génial, mais en vrai tu as juste besoin d’un papier et d’un crayon, et de toi, et d’y aller si tu as réellement envie de faire les choses. Et le fait de créer à partir de rien c’est un truc qui est propre au Hip-Hop, le fait de créer à partir de rien, la rue. Tout ça est lié, connecté, et ça c’est une valeur importante pour moi et dont on parle beaucoup avec les jeunes en atelier. Quand je leur pose la question « qu’est-ce qu’il faut pour rapper ? » c’est un moment qui est génial, et on commence l’atelier avec ça souvent. Et on me sort des trucs hallucinants : « l’auto-tune, un clip, un micro ». « Nan nan nan c’est pas ça, on réfléchit à la base, revenez à des chose plus basiques », et souvent ils ont du mal. Je dis « en fait tu as besoin de rien ». Pour rapper tu as même pas besoin d’écrire, tu peux même faire comme certains rappeurs font qui écrivent dans leur tête. Jay-Z, Eminem à une époque, Oxmo un peu en France. Mais Jay-Z je vous invite à regarder des documentaires sur son processus d’écriture, il écrit dans sa tête. Il se met devant le micro dans le studio et il balance et c’est hallucinant, c’est un exercice incroyable. Donc je pense qu’à un moment donné j’avais du mal à faire les choses, et je pensais que si je n’y arrivais pas c’était parce que les conditions qui sont idéales n’étaient pas réunies pour que j’y arrive. Mais ce sont des histoires qu’on se raconte à nous-mêmes, que si on n’y arrive pas c’est la faute à…
GL : Tu parles de quel moment ?
Pumpkin : Je parle du fait de pas avoir un lieu à moi pour créer, j’ai pas une pièce, j’ai pas un endroit, j’écris là ou je peux. Mon dernier album c’était dans ma chambre, mon album Silence Radio c’était au travail, parce que je travaillais dans un magasin de vêtement, j’étais responsable dans une boutique à Paris, il n’y avait pas de client qui était là, je voulais passer le temps et du coup j’ai écris l’album au travail. Je me dis que si tu te fais un peu violence….
DB : Ce n’est pas rien quand même d’écrire au travail, ça subvertit un petit peu quelque chose de faire ça sur son lieu de travail.
Pumpkin : Ouais c’est intéressant oui. Comme exercice je pourrais me dire je vais aller sur la place et je vais écrire un projet dans le monde. Mais je préfère quand même être dans le calme. En plus tout m’irrite et m’emmerde. Pour rester concentrée dans ce que je fais je préfère être chez moi avec le casque sur la tête et je me mets les instrus en boucle. Ce qui se passe c’est que je reviens aux notes et aux 50 millions de fichiers words que j’ai sur mon ordi et je commence à fouiller, je me laisse aller, et si j’ai une phase qui est écrite je me dis « ah c’est pas mal ça » et puis il y a un mot et ça va me faire penser à des mots qui riment avec… Et en fait je rebondis de doc en doc et parfois je vais retomber sur un truc qui va faire écho à un autre truc que j’ai lu, et du coup je vais fouiller et je vais dire ça, et ça ça pourrait aller ensemble. Et en fait je ne me rends pas compte, mais en fait ça fait 6 mois que je prends des notes et que je suis en train d’écrire sur un truc précis.
DB : Ça parlait déjà de quelque chose et tu ne t’en étais pas rendue compte.
Pumpkin : En fait il se trouve que ce mot-là et ce truc-là et ce machin, c’est lié à une thématique et je ne m’en étais pas rendue compte. Et après il y en a où a priori c’était pas le même sujet et si je les mets ensemble bah ça marche aussi. Tout est possible c’est ça qui est génial. Et quand on parlait de liberté, et bien cette étape-là c’est une des étapes les plus jouissives parce que là les choses prennent forme et c’est toi qui décides, et tu es maître de tout ce qui se passe.
DB : Il y a une satisfaction particulière quand tu trouves un truc qui sonne ?
Pumpkin : Bah là c’est un truc à moi, mais parfois j’ai l’impression d’avoir des coups de génie mais ça c’est entre moi et moi. Et là il y a une satisfaction folle. Et d’ailleurs ce qui est drôle c’est que c’est très amusant d’aller sur Genius. Il y a des mecs qui font des annotations, qui font des analyses de texte et c’est à mourir de rire parce qu’il y en a qui sont pertinentes et d’autres qui sont complètement à côté de la plaque. Et parfois il y en a qui sont partis dans des analyses plus loin que moi au moment où j’écrivais le texte, et il y a des trucs qui sortent et qui marchent, et c’est hyper intéressant.
GL : Chacun s’approprie ton texte.
Pumpkin : Ouais mais je t’avoue qu’il y a une forme de jubilation quand ça fait vraiment écho.
DB : Quand ça fait écho avec d’autres ?
Pumpkin : Si vous avez écouté mes textes c’est quand même vachement écrit, c’est à dire que l’on sent que je passe du temps, que je réfléchis, même si j’essaie d’équilibrer, que ce ne soit pas trop indigeste, qu’il y ait toujours une première lecture possible et si on a envie de comprendre plus ou de creuser au fur et à mesure des écoutes, il y a des choses qui ressortent après. Moi j’aime bien…
DB : Tu parlais de la satisfaction quand ça fait écho.
Pumpkin : Oui tu te rends compte que c’est de plus en plus rare les gens qui écoutent réellement les choses, donc moi quand j’écris j’ai conscience de ça et je me dis que de toute manière la plupart de la finesse et de la subtilité, ça va passer à la trappe pour la plupart des gens, mais c’est pas grave et j’accepte ça.
DB : Mais tu dis quand même que tu écris, je te cite de mémoire, pour « des oreilles qui font le détail », je trouvais ça très beau.
Pumpkin : Oui c’est ça.
GL : Mais quand tu écris de toute façon il n’y a pas forcément cette volonté que ce soit pour quelqu’un. Parce que tu parles de moment entre toi et toi. Quand l’écriture a commencé à te venir tu parles de journal intime, du coup à quel moment ça a commencé à venir l’idée de l’adresser à quelqu’un, que tu le donnes à un public ?
Pumpkin : C’est marrant ce que tu dis parce que j’ai tout le temps en tête l’anticipation de comment ça va être compris, c’est à dire que j’écris pas pour moi. A une époque j’écrivais un peu pour moi, et je n’avais pas du tout cette réflexion sur comment ça allait être perçu. Ça c’était sur mon premier album qui était vachement plus introspectif, et l’écriture était peut-être moins accessible. Et en fait une des préoccupations que j’ai maintenant, c’est que je suis en quête d’un équilibre parfait dont les critères ne sont pas établis par moi-même, donc ça relève de l’impression et de l’instinct, d’un équilibre parfait entre le fond et la forme. La musique, parce qu’avant tout on fait de la musique, il faut que ça reste musical. Si j’avais des choses à dire, si je voulais vraiment être comprise à 100% et écrire pour le texte uniquement, je pense que j’écrirais des chroniques ou des articles, j’en sais rien, mais un truc qui soit dans cette forme là. Pour moi le rap il doit être musical avant tout. Il y a des artistes qui me fatiguent parce qu’il sont pas assez musicaux. J’essaie vraiment de trouver un équilibre parfait, en tout cas c’est là que je vais quand je fais des morceaux. J’ai envie qu’on puisse kiffer le morceau sans forcément comprendre ce que je fais. Par exemple un étranger qui ne comprendrait pas le français mais qui kifferait. Et c’est pas rien, quand on fait des concerts à l’étranger, souvent ça marche bien et j’en tire vraiment une satisfaction, je me dis que le taf est pas si mal fait. Parce que vis à vis du rap on met toujours le texte en avant, donc beaucoup de personnes vont penser « Ah mais en fait si on comprend pas il n’y a aucun intérêt », alors que si, il y a quand même un intérêt, et moi ça ça m’intéresse de développer aussi la musicalité, le placement de la voix, le flow.
GL : Il y a un travail de la langue aussi.
Pumpkin : Bien entendu, la prononciation. Et c’est un travail aussi du mix : quand tu mixes l’album, où est-ce que tu places la voix dans la musique ? Tu parlais de boom-bap tout à l’heure et nous on se place dans ce courant là en style de rap même si en réalité on pourrait dire que c’est un boom-bap actuel. Quand tu écoutes nos albums tu n’as pas l’impression d’écouter un album de 1996 même si c’est cette école, mais c’est pas ce son là. On a vraiment ce truc où la voix elle est bien mixée dans la musique en fait. Et en réalité si tu fais attention, souvent en rap français, dans un mix la voix a tendance à être en avant, et c’est l’impression que ça donne, tu as l’impression d’avoir la musique d’un côté et la voix de l’autre. Il y a cette idée que la musique est secondaire et que le texte et la parole sont plus importants. Et ça c’est très français. Nous on est plus à l’américaine. La voix c’est un instrument, et ok il y a des choses qui sont dites et c’est important, mais ça reste de la musique avant tout. C’est pas que des mots, ou alors je vais faire des scènes ouvertes et je vais déclamer en a cappella. Il y a un texte que je fais a cappella sur scène, parce que j’avais envie de le laisser complètement déshabillé de la musique, mais c’est une démarche différente.
GL : Ce que j’entendais dans cette question là c’était aussi que l’écriture tu l’as commencée vraiment pour toi dans ta chambre et il y a un moment où tu as décidé que tu ferais écouter ça à des gens.
Pumpkin : Le truc c’est que moi je cherche à me satisfaire à 100% et j’espère que ça va plaire à quelqu’un après. Ce serait faux de dire que quelque part ma manière de travailler n’est pas impactée par une anticipation de réaction, ce serait mentir. Je sais que si je mets un refrain là ou là, ça n’aura pas le même impact sur les gens, parce que l’expérience fait que, et il y a aussi l’anticipation de la scène. Parce que les albums précédents on les a bossés en pensant scène et ça ça a des impacts différents dans l’approche de la compo. Donc ça veut dire que je me pose des questions sur la manière dont certaines choses vont être perçues. Ça veut pas dire que je m’empêche de dire des choses, loin de là, ce n’est pas la question, mais ne serait-ce que de se demander quand on écrit si on va être capable de l’assumer. C’est une question que je pose aussi en atelier aux gamins. Parce qu’il y en a qui s’inventent des vies et qui sont là : « Heu nique ta mère, je baise ta meuf ». Et après ils sont incapables de raconter en fait. Ils se lèvent et ils rappent et ils regardent ailleurs, et je leur dis « Bah non regardes moi dans les yeux ». « Bah ouais mais ça me fait bizarre de dire je nique la meuf de ton pote en te regardant dans les yeux ». Bah oui mais c’est ça la question : est-ce que tu peux le faire ou tu ne peux pas le faire ? Si tu n’es pas capable de l’assumer, ne l’écris pas. Alors quand je pars dans un sujet, je me demande comment je vais l’assumer ou vivre avec. Je me pose des questions. D’ailleurs je ne sais pas si ça répond à ta question. En tout cas moi je suis dans un truc où il faut que je sois satisfaite à 100%. Moi et Vincent, parce qu’on signe de nos deux noms, faut que l’on soit tous les deux ok à 100%.
DB : Mais où est-ce que tu prends le plus de satisfaction ?
Pumpkin : Bah sur scène déjà quand je vois que ça marche.
DB : C’est l’écho dont tu parlais tout à l’heure.
Pumpkin : Quand tu vois que tu es compris, l’énergie dans les yeux quand tu vois que tu es compris, déjà ça ça n’a pas de prix. Quand tu vois que toi tu as réussi à mettre des mots sur des choses qui trainent dans la tête de tout le monde. Ça c’est quand même génial. Mais l’autre moment où je prends le plus de plaisir c’est le moment où je sens que j’ai trouvé le bon mot, la bonne formule.
DB : Que tu as trouvé le bon mot.
Pumpkin : Ouais, et je lâche pas tant que je n’y arrive pas, c’est pour ça que je dis que c’est pas une partie de plaisir. Parfois quand je suis sur un morceau, par exemple le morceau astronaute dont tu parlais tout à l’heure, j’en ai fait 4, 5, 6 versions.
DB : C’est dans celui-ci où tu parles des « rapports textuels », j’ai trouvé ça très bien cette formule. Par l’écriture comment faire rapport avec l’autre…
Pumpkin : Oui. Mais c’est marrant parce que tu vas trouver ça génial, malin, bien vu, mais il y a des gens qui vont trouver ça complètement naze parce qu’il y a des gens qui cherchent autre chose dans le rap. Qui attendent autre chose du rap. Et en même temps ce qui est génial, c’est que au cas où tu avais prévu d’avoir la grosse tête, tu restes humble en fait. Il y a des gens qui vont te trouver complètement naze, et tout ce que tu écris aussi. Même si en réalité je suis obligée de temps en temps pour tenir le coup de m’octroyer un peu de frime perso. Tu vois l’album on l’a terminé j’étais hyper fière de moi, je suis vraiment fière de moi. Il faut que j’ai cette satisfaction qui me dise que même si derrière ça ne plaît pas à personne, ça marche pas, on ne m’enlèvera pas la satisfaction que moi j’ai, d’être allée au bout d’un truc, de ne pas avoir fait de compromis. Quand on écoute les morceaux avant de les sortir, il faut vraiment qu’on soit convaincu. S’il y a le moindre doute sur quoi que ce soit, alors on refait, on recommence, on change, on modifie. C’est pour ça que je passe beaucoup de temps sur les morceaux parfois. Puisqu’on parlait du processus d’écriture, je parlais de cette espèce de transe là, qui est un état un peu magique, où on se sent tout puissant. Quand on est sur la bonne voie, on a l’impression d’être porté par un truc, mais c’est dangereux ce truc là car c’est fragile aussi. Parfois on prend une direction qui va tuer cet état là. A un moment donné au lieu d’aller à gauche on va à droite. Parfois faut rester deux jours sur un couplet pour finalement se dire, « non, c’est raté » et d’autres fois « oui ». Parfois c’est pas utile de se faire du mal et parfois c’est utile. C’est juste une question de choix : à quel moment tu t’arrêtes ? Il n’y a pas de vérité. Il y a juste un moment où t’en peux plus, t’arrêtes. Le « j’en peux plus » c’est un curseur qui bouge en permanence. Si j’ai une idée qui me plait, j’en fais une ébauche : par exemple je vais utiliser un mot pas précis, qui sonne pas bien, qui ne me plaît pas, mais qui me permet de figer l’idée, même si je sais que ce ne sera pas ce mot là que j’utiliserai car il ne me plait pas. Une problématique quand on écrit dans le rap c’est que c’est de l’oralité à la base, il faut s’en souvenir, donc quand je choisis les mots, il faut qu’ils sonnent bien en bouche, qu’ils puissent s’enchaîner. Souvent je fais une première ébauche avec des mots qui ne sont pas idéaux, mais qui me permettent de construire une première version d’une idée. Je pose. Et après en général je rappe en permanence, avec le son dans les oreilles. Ce qu’il faut savoir c’est que je ne jette jamais rien de ce que j’écris. Sur chaque album je garde tous mes papiers.
DB : Tous les papiers que tu écris?
Pumpkin : En fait j’ai mon ordi, avec un word, et j’ai des feuilles A4 blanches, en format paysage, et j’ai des feutres que j’utilise de plein de couleurs différentes. Pour chaque chanson je prends une couleur différente. Chaque jour je me dis « tiens aujourd’hui je prends du orange » par exemple. C’est un détail mais je suis sensible aux couleurs, et à plein d’autres choses. Dans le processus créatif ça me permet de ne pas m’enfermer dans les mêmes sensations.
DB : Oui ça crée une petite rupture d’emblée. Et tu écris un peu les mêmes thèmes sous telles ou telles couleurs ?
Pumpkin : Non, ça non. Je ne réfléchis pas, je choisis la couleur comme ça me vient. Et donc les feuilles servent à faire des listes de mots, ou à noter des idées en vrac. Et après je mets un peu au propre sur word. Après avoir écris une première ébauche, quand j’ai un truc qui ressemble à peu près à un premier morceau, je fais un enregistrement, qui est une maquette. Pour tester. Ensuite je laisse passer un jour ou deux et je le réécoute, on le réécoute. Et ça permet d’avoir le recul, l’oreille fraîche. J’essaie d’écouter ça comme si c’était quelqu’un d’autre qui rappait. On voit ce qui marche et ce qui ne marche pas. Souvent c’est rarement la bonne version. Et après je fais ce truc de sculpture un peu. J’ai l’impression de sculpter. Car là le morceau existe un peu, mais je vais par exemple reprendre une phrase, y enlever tel mot qui n’est pas très joli. Je suis beaucoup dans les dictionnaires de synonymes. Je cherche d’autres mots. Ou alors pour le flow il y a trop de syllabes, donc il faut que je dise la même chose mais avec moins de syllabes ou de mots. Ça jusqu’à ce que je sois vraiment satisfaite. Et après on réenregistre. Et une fois qu’il y a le texte, il y a l’interprétation : comment je vais le dire.
DB : Ça aussi tu le modules ? Tu le travailles aussi la façon dont tu vas le dire ?
Pumpkin : Oui. Parfois j’ai l’impression que c’est super ce que je suis en train de faire, et j’enregistre et je me dis : en fait non. Et c’est chiant de ne pas être en capacité de savoir tout de suite si t’es à côté de la plaque ou pas. Par exemple maintenant j’ai fait suffisamment de scène. Et je sais qu’en concert on a tendance à prendre une voix plus aiguë, et ça c’est dégoutant. Si on ne s’entend pas bien on a tendance non seulement à aller dans les aigus mais à crier. Comme quelqu’un qui entend mal au téléphone va se mettre à crier, alors que ça ne sert à rien. Ce n’est pas parce que nous on parle plus fort qu’on va mieux entendre. Sur scène c’est pareil. Sauf que maintenant avec l’expérience, si je ne m’entends pas bien je sais comment est-ce que ma voix correcte résonne en moi. Mais de l’écriture à l’enregistrement, pour ce qui est du sens et des mots je ne doute plus trop, mais pour ce qui est du travail du placement de voix et du flow c’est quelque chose sur lequel je continue à être à tâtons. Je fais plusieurs enregistrements, certains avec une voix grave par exemple, pour voir. Et on le refait plus aigu, car pas convaincu. Ou avec plus de punch. C’est de l’interprétation ça, c’est encore autre chose. Mais c’est une étape qui est importante aussi. Voilà. D’autres questions ?
GL : Plein de choses ont été dites sans avoir eu à poser de questions.
DB : Guillaume ne voulait pas s’embarrasser de ses notes et finalement en effet, il n’en a pas eu besoin.
GL : J’avais écris une trame au cas où le dialogue ne se lançerait pas.
Pumpkin : C’est vrai qu’il y a des gens qui disent oui, non, et t’es obligé de relancer en permanence.
GL : Je ne voulais pas que ça se passe comme ça, être encombré de mon cahier etc… Autrement, de plus en plus, il y a une place qui est laissée au sens que délivrent les rappeurs, on les interroge beaucoup sur des questions politiques, philosophiques etc… et toi comment tu te positionnes par rapport à ça ? Car tu dis qu’il y a le côté musical qui est très présent. Mais est-ce que tu penses que le rap a un rôle à jouer dans le social ?
Pumpkin : C’est un problème qui colle au rap : il devrait être là pour éduquer, alors que pas du tout. Et c’est faux de dire que c’est l’essence du rap. Car quand tu fais tes devoirs et que tu regardes dans l’Histoire, au départ, ça disait strictement rien le rap en fait. Au départ, le rap est né du MC, qui était là pour ambiancer les foules quand le DJ mixait. Au départ il y avait la musique, et après le MC qui ambiançait. Et le fait d’être là avec le micro, son rôle a pris de l’ampleur et il s’est mis à raconter des trucs. Mais au début, si on écoute Rapper’s Delight, morceau légendaire de 15 min, les mecs parlent de tout et de rien en fait, de choses très légères. Et c’est quasiment l’impression d’une impression bon enfant avec les mots pour les mots, qui riment. Et c’est intéressant.
DB : Il n’y a pas de message.
Pumpkin : Non. C’est le kiff des mots pour les mots aussi, et le fait d’être ensemble et de passer un moment, d’échanger pas qu’avec la musique mais aussi avec la voix. Et d’utiliser tous ces gimmicks d’ambianceurs qui existent dans le rap depuis le début. Car avant d’exister sur des bandes enregistrées, il est né de la fête.
DB : C’est étonnant de voir comme on demande ça beaucoup plus au rap qu’à d’autres styles de musique (d’éduquer).
Pumpkin : Bien sûr. Mais on est là pour ça. Et c’est drôle parce que soit on nous tape dessus pour nous dire que ce n’est pas assez, soit pour nous dire que c’est trop. La conscience politique est vachement imbibée dans le rap. Le premier morceau comme ça c’était « The Message » de Grandmaster Flash & The Furious Five. Et il y a eu après Public Enemy qui était hardcore, très politisé. Mais il y a toujours eu de tout.
GL : Oui, toi tu dis que ta conscience politique elle est venue par là. Il y a quand même quelque chose qui se transmet.
Pumpkin : Oui bien sûr. Ce que je t’expliquais c’est que moi ce qui m’intéresse c’est que cette pluralité elle continue d’exister. En tant que femme il existe plusieurs manières de faire du rap. Et dans la mesure où tout le monde est représenté ça me va. J’aime bien que ce soit très musical, riche, dansant, que ce soit technique et qu’en même temps des choses soient dites. Sur l’album on a des morceaux plus légers que d’autres. On a écrit sur les violences faites aux femmes, l’identité, etc…
DB : Même dans tes albums il y a cette pluralité.
Pumpkin : Oui. Comme on aime bien taper sur le rap de toute manière, on va dire que c’est le genre le plus sexiste etc… C’est marrant parce que c’est un reflet de la société. Je n’ai pas d’expérience plus emmerdante dans le rap que dans la vie de tous les jours. Juste que le rap a une manière très frontale et cash de dire les choses. Car le but c’est de convoquer quelque chose de manière assez cash. On dit les choses. Nécessairement ça passe moins que parfois certains discours qui peuvent être pires mais qui sont dits de manière plus subtile.
DB : Polie, mais dans le mauvais sens du terme.
Pumpkin : Ouais c’est ça. Et en 2019 on en est encore là à avoir ces discussions là en fait. C’est fou. Moi en tant que meuf on se permet de me dire en permanence comment je dois écrire, m’habiller, me coiffer, dire les choses. Comment en tant que femme on me « mansplain » comment je dois rapper, de quoi je dois parler etc… Encore régulièrement. C’est même de pire en pire, car même si on reste dans l’ombre, notre projet (groupe de rap) prend de plus en plus d’ampleur. Et plus tu touches de gens, plus potentiellement il y a des réactions négatives aussi, de la part du public. Et c’est l’histoire de toujours. Et après c’est : qu’est-ce que tu fais face à ça ? Est-ce que tu réponds ou pas ? Est-ce que tu fais de l’éducation ? Est-ce que tu prends ce temps là ? Car on est ralenti en permanence. Souvent nous les femmes dans nos entreprises on est souvent ralentie par les choses. Et c’est marrant parce que souvent je suis interviewée sur cette question de la place des femmes dans le rap. Et ça me soule de parler de ça, on en parle en boucle. Et pendant qu’on parle de ça on ne parle pas d’autre chose. Pendant qu’on parle de ça, on ne parle pas des projets des rappeuses. On parle de nos difficultés, ce qui nous positionne avec une image négative dans le panorama, puisqu’on ne nous présente pas avant tout comme une femme, puisque tout ce qu’on fait est étiqueté comme « féminin ». On ne fait pas du rap, on fait du rap féminin.
DB : Quelle rappeuse a compté pour toi ? Ou compte beaucoup encore ?
Pumpkin : Il y en a plusieurs. Missy Elliott. Lauryn Hill. Queen Latifah. Aujourd’hui Rapsody. Little Simz, jeune rappeuse anglaise incroyable. Diams évidemment. On est née la même année. Il y a la meuf qui explose, fait son truc, et moi en parallèle qui me suis mise à rapper sérieusement tardivement. Ça reste une des artistes dans le rap français qui a vendu le plus d’albums, hommes et femmes confondus.
DB : Et quelle écriture !
Pumpkin : Oui. Après je n’ai pas kiffé de la même manière tout ce qu’elle a fait. Comme pour Solaar. Ce que j’ai beaucoup aimé chez elle c’est ce que justement moi je n’ai pas. Cette manière de mettre tout le monde d’accord. Elle était très technique, elle avait une écriture et une manière de dire les choses très simple et très impactante. C’était efficace. Et elle a une voix aussi. Qui marche hyper bien. Certains rappeurs doivent travailler beaucoup plus leur voix. Il n’y a pas de chichi avec elle. Bref. On parle beaucoup de son succès mais peu de sa souffrance.
DB : Bien sûr. Elle raconte ça dans son dernier album, elle en parle très bien.
Pumpkin : Oui, les tentatives de suicide, l’HP etc… Puis Mélaz qui était une rappeuse du collectif de Solaar et compagnie. C’est elle qui fait les choeurs dans la chanson « Caroline » de Solaar. Elle a sorti un album en 1996 avec la clique du deuxième album de Solaar, qui sont les mecs de la French Touch (Cassius notamment). Casey aussi j’aime beaucoup. Si vous pouviez lui parler à elle sur l’écriture, je pense que ce serait hyper intéressant. En ce moment elle est sur un projet de texte sur scène avec Béatrice Dalle. Pour Casey je vous conseille d’écouter sa musique évidemment, mais elle a fait des vidéos autour du rap avec la Sorbonne. Qui est très intéressant. Ça parle de l’écriture.
DB : Un grand merci à vous.
Pumpkin : De rien, j’espère que ça va vous aider.
Crédit Photographique : Franck Lebègue