L’image et le cauchemar

Texte de David Bernard, psychanalyste à Rennes
à partir d’une intervention faite dans le cadre du colloque « L’expérience du cauchemar »
organisé par le Forum du champ lacanien de Roumanie le 22/10/2022

 

« Il faut dormir, écrivait Maurice Blanchot, c’est là le mot d’ordre que la conscience se donne, et ce commandement de renoncer au jour est l’une des premières règles du jour[1] ». Il y aurait donc au fondement de la conscience, qui pourtant nous donne le sentiment d’être ouverts au monde, un profond sommeil, une façon de nous tenir à l’abri d’un trop rude réveil. Lacan, parlant du sommeil, soulignera à son tour sa fonction de protection. Le sommeil est ce moment où le sujet, dans ce lieu narcissique qu’est le lit, son lit, tente, sous sa couette, de se calfeutrer[2], séparé qu’il serait alors de toute présence Autre. Nous retrouvons ici la métaphore, chère à Platon, de la sphère, de la bulle, pour ne pas dire du cocon, ou du nid, dans lesquels le sujet pourrait se replier. Lacan y insiste lui-même : dormir, c’est d’abord s’enrouler, se mettre en boule, et cela dans l’espoir de « ne pas être dérangé[3] ». Or qu’est-ce qui fondamentalement dérange et réveille l’être parlant, sinon la jouissance ? D’où la conclusion logique qu’il en tire : dormir, c’est avant tout espérer « suspendre » ce qu’il y a d’ « ambigu (…) dans le rapport au corps avec lui-même, (…) le jouir[4] ». « L’essence du sommeil, c’est (…) la suspension du rapport du corps à la jouissance[5] ». Le sujet s’enroule, à la mesure de son espérance d’avoir enfin son corps, de le faire sien, de ne plus en avoir peur dès lors que ce corps serait enfin déserté de la jouissance énigmatique et intrusive. Pas étonnant que l’image du foetus, flottant dans le ventre rond de sa mère, protégé de toute présence Autre, puisse nous fasciner. Autant que celle de l’astronaute, qui dans sa capsule, l(‘)évite, c’est le cas de le dire. Tel est peut-être l’idéal de la lévitation : suspendre le rapport du corps à la jouissance.

Mais reste que l’image de l’astronaute dira aussi combien il faut, en effet, contempler de très loin le monde, pour parvenir à le regarder comme une jolie sphère, soit la forme paradigmatique, selon Lacan, de l’unité. A ce doux monde du sommeil et du rêve, pourra alors s’opposer le cauchemar, qui, lui, reconduira au contraire le sujet à cet im-monde, dont Lacan fera un autre nom du réel. Une différence doit ainsi être faite entre l’image de la contemplation, dans laquelle le sujet s’assure de la rondeur des choses, de sa propre unité, autant que de celle du monde, et l’image du cauchemar, qui, elle, viendra au contraire fragmenter, et diviser. Plus encore, là où le sujet, dans sa contemplation du monde, s’installait dans une position de maître, c’est ici lui-même qui sera regardé, par ces images. Pensons ici à l’homme aux loups, se voyant à l’instant du cauchemar, saisi par le regard des sept loups, se tenant chacun immobile sur les branches d’un arbre. Une telle image ne viendra pas conforter le sujet dans la certitude de lui-même, ainsi que cela se produit dans l’idéal de la contemplation. Quelque chose de l’être du sujet, viendra au contraire dans cette image, lui faire retour, et le diviser. Dans l’image du cauchemar, le sujet fondamentalement ne se reconnaît plus moïquement, tout en s’y re-trouvant, comme interprété.

Le cauchemar n’a donc pas l’aspect d’un monde uniforme, loin s’en faut. Il est plutôt ce qui fait vaciller la belle forme, ce qui introduit des formes autres, étranges, et qui ce faisant, vient bouleverser l’ordre imaginaire du sujet. Il est un réalisateur de cinéma, David Lynch, qui dans ses oeuvres montre de façon magistrale cette vacillation de l’unité du bel ordre, et sa bascule dans l’univers cauchemardesque. Le réalisateur s’applique en effet à faire tout à coup surgir dans certaines scènes des formes effrayantes et énigmatiques, à les faire apparaître autant que disparaître, au bout de quoi nous ne savons plus guère si nous sommes dans un univers réel, ou virtuel, et peinons à suivre le sens de l’histoire, autant que sa conclusion.

A partir de son travail sur l’image autant que sur le son, Lynch ne cesse d’objecter, commente Eric Dufour, à ce que ces fragments, ces surgissements, puissent se résorber « dans un tout[6] ». Ces scènes, avec leur opacité de sens, d’image, et de son, semblent ainsi jaillir comme d’une « indétermination originaire ». Des visages émergent de l’obscurité, tandis qu’à d’autres moments, « toute forme se dérobe et s’évanouit[7] ». Des corps s’enfoncent et disparaissent dans un sombre couloir. Ça apparaît, ça disparaît. Ici, le noir « bouffe tout, mange tout ». L’unité du monde où tout était à sa place, se dissout. N’en reste que des fragments qui à leur tour s’assemblent et semblent converger, pour faire un autre monde, lequel à nouveau se détruira. La forme émerge de l’obscurité, donc, en même temps qu’elle y retourne toujours.

Seulement, comment situer, dans le cadre du discours analytique, cette obscurité ? Quel est ce noir d’où toute forme peut surgir, autant qu’y disparaître, ce noir qui objecte au Tout, à ce qui ferait l’unité de la réalité ? Lacan aura pu évoquer cette obscurité, notamment dans son lien à la peur, et au cauchemar. Pour cela, il repart de ce qui au départ, donne au contraire au sujet l’illusion de la transparence, de la pleine conscience : l’image du corps. S’identifiant à cette image, qui lui est d’abord extérieure, le sujet aura l’illusion d’être Un. Ainsi que je l’évoquais plus haut, la forme paradigmatique de cette unité imaginaire sera la sphère, en tant qu’elle incarne une parfaite totalité, une forme à laquelle rien ne manque. Enfin, cette forme idéale constituera aussi la matrice à partir de laquelle le sujet se fabriquera son image du monde. Autrement dit, l’image de son monde, tel qu’il le voit et croit le maîtriser. L’identification à cette unité imaginaire, totalisante, conduira ainsi le sujet à l’illusion de se connaître pleinement, abrité dans sa « bulle[8] », autant que de pouvoir connaître le monde, et d’en faire le tour. Tout objet de connaissance, insiste Lacan, sera « construit, modelé, à l’image du rapport à l’image spéculaire[9] ». Et « c’est précisément en quoi, cet objet de la connaissance est insuffisant[10] ». D’où l’intérêt, remarque-t-il, de la dimension de l’étrange, dans laquelle l’objet de la connaissance nous apparaîtra cette fois autrement, que comme simple reflet de nous même.

A cet égard, pensons aux films et à la série Twean Peaks de David Lynch, très proches de la structure des cauchemars. Par son traitement de l’image, le cinéaste nous permet de sortir de notre point de vue habituel, de voir le monde autrement que par le filtre de notre image spéculaire et donc, autrement que comme unité, et totalité englobante. Dans ces films, commente encore Eric Dufour, les images, plutôt que de satisfaire à la contemplation du Un, « font craquer le monde et les identités personnelles en une irréductible diversité[11] ». En témoigne la présence récurrente des regards effrayés. Dans l’expérience de l’étrange, indique en effet Lacan, quelque chose de véritablement « nouveau[12] » fait face tout à coup au sujet, qui le fait vaciller comme « sujet transparent à sa connaissance[13] ». Dès lors, à cet instant, « tout est remis en question[14] ». De la même façon que, dans les films de Lynch, quelque chose d’étrange surgit, fait effraction dans l’image, et vient détruire le bel ordre, pour jeter le personnage, autant que le spectateur, dans une angoissante perplexité.

De cette angoisse face à la dimension de l’étrange, Lacan trouve alors le paradigme dans la peur que les enfants ont de l’obscurité. La peur du noir tient non seulement au fait que dans le noir, nous pouvons ne plus reconnaître notre forme mais que, une fois le soutien de l’image spéculaire ainsi disparu, nous pourrons alors nous éprouver réduit à ce que Lacan nomme le « résidu non imaginé du corps[15] ». C’est là une thèse sur laquelle Lacan reviendra bien des années plus tard, notamment en 1974 : « De quoi nous avons peur ? » demande-t-il. Réponse : « De notre corps. (…) L’angoisse, c’est justement quelque chose qui se situe ailleurs dans notre corps, c’est le sentiment qui surgit de ce soupçon qui nous vient de nous réduire à notre corps[16] », c’est à dire à la part jouissante de ce corps, qui d’être corrélée au symbolique, apparaît énigmatique, extime.

L’obscurité est donc angoissante en tant que le sujet peut y perdre le soutien de son image spéculaire, et ce faisant, perdre ses repères spatiaux, qui lui permettaient de se défendre de la jouissance. Aussi n’est-il pas surprenant que l’angoisse, quant à elle, puisse alors surgir de tous côtés, que les monstres se planquent sous le lit, les squelettes dans le placard, et que les araignées puissent être là, dans leur multitude, partout, et toujours plus nombreuses. Ainsi que me le précisait un enfant, « En fait c’est pas du noir dont j’ai peur, c’est de ce qui se cache dedans », à commencer par les figures multiples, dans son cas, de la dévoration. La jouissance, de réapparaître à la place prévue pour le manque, dans tel ou tel encadrement, mais de façon non spéculaire, se manifeste certes comme irrepérable, mais prête à apparaître. De structure, elle pourra revenir de partout, et faire dés-ordre, dé-bordement, fragmentant l’unité du monde, autant que celle du sujet. Dans le noir, l’enfant n’est donc pas seul, s’éprouvant plutôt comme approché, frôlé, menacé, par les formes étranges d’un monde devenu Autre. Là où était la stabilité rassurante de l’image, les formes, éparses, pourront désormais se mettre à bouger, comme animées d’une vie propre, se transformer, jusqu’à laisser apparaître le plus difforme. Ici, le plus familier peut devenir subitement inquiétant, étranger, et surtout vivant.

Ainsi, l’obscurité pourra être angoissante non seulement parce qu’elle dépossède le sujet du soutien de l’image spéculaire, mais parce que ce faisant, elle le dépossède aussi de ce par quoi il se défendait de la jouissance, la sienne autant que celle de l’Autre. La jouissance dans laquelle le sujet ne se reconnaît pas, sera en effet attribuée à la volonté de l’Autre. L’obscurité incarnera aussi l’énigme du désir et de la jouissance de l’Autre, dont le sujet aura tout à coup la sensation. « Le corrélatif du cauchemar, énonce ainsi Lacan, c’est l’incube ou le succube, cet être qui pèse de tout son poids opaque de jouissance étrangère sur votre poitrine, qui vous écrase sous sa jouissance.[17] » Ces dimensions du poids et de l’écrasement sont à relever, disant bien qu’ici le sujet sera ici fixé par la jouissance.

Seulement, cet être qui pèse de tout son poids de jouissance sur le sujet, sera aussi un être questionneur. C’est là également une dimension que David Lynch mettra fort bien en scène, au gré de personnages qui convoquent soudainement le héros à répondre à une énigme, à l’exemple de l’homme mystère dans Lost Highway, ou bien de la femme à la buche dans Twean Peaks. Et c’est bien à partir de la rencontre de cette énigme, que se produiront ensuite le désordre et les drames, à la façon de ce qu’engendra pour Oedipe l’énigme de la Sphinx. La figure du cauchemar ne doit donc pas être réduite à une simple image. Elle est aussi une « figure questionneuse », à l’endroit du sujet. Lacan précise : cette figure est questionneuse au sens où elle sollicite ma perte et « m’interroge à la racine même de mon désir à moi comme a, comme cause de désir, et non comme objet[18] ».

Ainsi, le cauchemar réveille le sujet, en tant que non seulement il le regarde, mais qu’il lui pose une question, et qu’au-delà encore, il le met en question, radicalement. En cela, la figure questionneuse du cauchemar va au-delà de l’image moïque du sujet, la traverse pour atteindre son être. Elle le reconduira alors à ce qu’il est d’origine : non pas ce moi fort, assuré de ce qu’il est, mais le sujet schizé, barré par l’objet cause du désir. L’image du cauchemar remet le sujet en question, dans la mesure où elle le remet en cause, le reconduit à ce point de chute de l’objet, de perte, d’où il a pu advenir comme sujet désirant. Aussi n’est-ce pas étonnant que dans le cauchemar, tout un monde vacille. Du moi fort, maître en sa demeure et en son monde, nous passons au sujet divisé, dans son rapport à un objet perdu. Ledit monde n’était jusque-là que le reflet de l’image spéculaire du sujet, dans sa supposée complétude, dans sa totalité imaginaire, dans sa perfection de sphère. L’image du cauchemar ramènera le sujet à ce point de réel, inimaginable, où le bel ordre et la belle forme retourneront dans l’obscurité, et où feront retour les jouissances pulsionnelles, fragmentaires, di-formes, qui font l’unique substance du sujet.

Ainsi pointé par ce qui d’ordinaire n’a pas d’image, remis en cause, pas étonnant que le sujet, tout en y étant convoqué, ne s’y reconnaisse plus. Ludwig Binswanger, dans Rêve et existence, le formulera d’une plus juste façon. Evoquant les moments d’une vie où un sujet, au regard de ce qui était son espérance, ses attentes, a pu s’éprouver tout à coup comme abandonné et « tombé des nues », perdu dans un monde lui étant soudainement devenu autre, le philosophe ajoute que ce sujet, dans l’après-coup, pourra alors se dire : « Je n’ai pas su ce qui m’arrivait ». Il n’a pas su ce qui lui arrivait, au sens heideggerrien du terme, au sens où le dasein, l’être là[19] du sujet, a tout à coup été amené devant son être, ainsi que cela était pensé dans l’antiquité grecque. Non pas comme une vision du monde, que le sujet aurait conçu et maîtrisé, mais comme quelque chose qui de son être, lui fait retour, et lui arrive. Binswanger ajoute alors : « C’est là le trait fondamental de tout rêve et de sa parenté avec l’angoisse ! Rêver veut dire : je ne sais pas ce qui m’arrive[20] ».

Il se précise ainsi la distinction entre la vision du monde, dont le sujet voudrait se ré-conforté, comme moi fort, et l’image du cauchemar, reconduisant le sujet à sa division, par l’objet qui le cause. Pas si simple, donc, pour un sujet, de se tenir en ce point d’inconfort, d’angoisse, et de symptôme, où il se découvre autre à lui-même, et ne sait pas ce qui lui arrive. Qu’il se pose néanmoins la question, et qu’il puisse vouloir y répondre, aura alors pour Lacan une portée éthique. Et d’ailleurs, me disait une collègue, ne faut-il pas du courage, pour faire certains cauchemars ? Lacan aura à sa façon posé la question, prenant l’exemple d’un sujet n’ayant pas reculé face à l’image du cauchemar : Freud lui-même.

Je fais ici allusion au rêve dit de L’injection faite à Irma. Souvenons-nous, Freud conduit dans son rêve la patiente près de la fenêtre, là où s’encadre le regard. Et c’est alors que, Irma ouvrant la bouche, lui revient de ce trou, ce que Lacan déjà identifiera comme proche d’un réel. « Ce qu’il voit au fond, ces cornets du nez recouverts d’une membrane blanchâtre, c’est un spectacle affreux (…). Il y a là une horrible découverte, celle de la chair qu’on ne voit jamais, le fond des choses, l’envers de la face, du visage, les secrétats par excellence, la chair d’où tout sort, au plus profond même du mystère, la chair en tant qu’elle est souffrante, qu’elle est informe, que sa forme par soi-même est quelque chose qui provoque l’angoisse. Vision d’angoisse, identification d’angoisse, dernière révélation du tu es ceci – Tu es ceci, qui est le plus loin de toi, ceci qui est le plus informe ».[21]  Pensons à ce que David Lynch aurait pu faire d’une telle scène, telle que décrite ici par Lacan. La belle forme de l’image spéculaire, et plus précisément de ce qui incarne le plus l’identité, le visage, se voit ici subitement traversée. L’envers de la face se dévoile. Sous le visage il y avait la chose informe, ce réel d’où tout sort, ce qui n’est pas imaginable, mais qui procure la nécessité, l’urgence de l’image.

Ce dévoilement sera également à situer sur le plan du symbolique. Du fond mystérieux de cette image, une nomination revient à Freud mais qui, paradoxe, s’accorde à de l’innommable. Freud, poursuit Lacan, rencontre ici « quelque chose d’à proprement parler d’innommable », une révélation certes, mais qui est « révélation du réel dans ce qu’il a de moins pénétrable, du réel sans aucune médiation possible, du réel dernier, de l’objet essentiel qui n’est plus un objet, mais ce quelque chose devant quoi les mots s’arrêtent[22] ». S’il y a donc quelque chose que le cauchemar révèle, cette révélation ne sera pas à entendre comme la révélation, au sens mystique, d’un sens plein. Sans doute sera t’elle plus proche d’un dé-voilement, ainsi qu’Heidegger traduisait le terme antique de vérité, Aletheia[23]. Il se révèle dans le cauchemar, que quelque chose à jamais, restera voilé. De même que dans les films de Lynch, il n’y a pas ici de grande révélation, ni de résolution finale.

Pour autant, du fond de « l’image horrifique[24] » est revenu à Freud, ce qui le regardait au point le plus intime de lui-même, (ainsi que la suite du rêve, que nous ne pouvons ici déplier, le démontre) et qui est de l’ordre d’un point de réel, extime, là où manquent les signifiants, et là où l’angoisse surgit. Lacan relève alors à ce sujet une remarque du psychanalyste Erik Erikson, qu’il juge excellente : normalement, Freud, à l’instant de ce spectacle affreux, aurait du se réveiller. Freud aurait du se réveiller… pour continuer à dormir, pour continuer à ne pas voir ce qui ainsi, du réel, le regardait. D’où la question : « pourquoi Freud ne se réveille-t-il pas ? Parce que c’est un dur », dit Erikson. Et Lacan de ponctuer : « Moi, je veux bien – c’est un dur[25] ».  Freud est un dur, au sens où il est allé loin, plus loin que ce à quoi on s’arrête d’ordinaire, et que Lacan renommera « la barrière de la beauté, ou de la forme[26] ». Porté par la « passion de savoir[27] » inédite qui était la sienne, Freud aura pu traverser son image moïque, la belle forme, pour faire face à l’informe dont il est fait. « Tu es ceci – Tu es ceci, qui est le plus loin de toi, ceci qui est le plus informe[28] ». La seconde partie du rêve le vérifiera, où passé ce « franchissement[29] » de l’image, le moi, sur le plan imaginaire, se décompose[30]. Désormais « il n’y a plus de Freud, il n’y a plus personne qui puisse dire Je[31] », il n’y a plus le moi de Freud. En ce point de passage du rêve, Freud a rencontré « l’expérience de son déchirement, de son isolement par rapport au monde[32] », ce monde dans lequel il devait reconnaître « son unité[33] » moïque et désirante. Il est alors devenu ce qu’est fondamentalement l’inconscient : un sujet qui parle, mais sans ego, la « voix de personne[34] ».

Je termine sur une question qui m’est venue au terme de ce travail. Une collègue me faisait remarquer que d’ordinaire, lorsque nous cogitons la nuit, nous manquons beaucoup d’humour. Ne pourrait-on dire aussi bien que le cauchemar manque d’humour ?

[1] Blanchot M., L’espace littéraire, éd. Folio-Essais, 1955, p.358.
[2] Lacan J., Le Séminaire Livre V, Les formations de l’inconscient, Paris, Seuil, 1998, p.177.
[3] Lacan J., Le Séminaire Livre XIX, …ou pire, Paris, Seuil, 2011, p.217.
[4] Ibid.
[5] Ibid., p.234.
[6] Cette citation et celles qui suivent sont extraites de l’émission de France culture, où était invité Eric Dufour : Les chemins de la philosophie, épisode « David Lynch ou le temps d’un cauchemar », 10 Octobre 2012.
[7] Lacan J., Le Séminaire Livre VIII, Le transfert, Paris, Seuil, 1991, p.280.
[8] Lacan J., « La psychanalyse dans sa référence au rapport sexuel », in Lacan in Italia, 1953-1978. Lacan en Italie, Milan, La Salamandra, 1978.
[9] Lacan J., Le Séminaire Livre X, L’angoisse, Paris, Seuil, 2004, p.73.
[10] Ibid.
[11] Dufour E., David Lynch : matière, temps et image, Paris, Vrin, 2020, p.112.
[12] Lacan J., Le Séminaire Livre X, L’angoisse, op. cit., p.74.
[13] Ibid.
[14] Ibid.
[15] Ibid.
[16] Lacan J., « La troisième », conférence du O1/11/1974, inédit.
[17] Lacan J., Le Séminaire Livre X, L’angoisse, op. cit., p.76.
[18] Ibid., p.180.
[19] Binswanger L., Rêve et existence, Paris, Vrin, 2012, p.36.
[20] Ibid., p.84.
[21] Lacan J., Le Séminaire Livre II, Le moi dans la théorie de Freud et dans la technique psychanalytique, Paris, Seuil, 1978, p.186.
[22] Ibid., p.196.
[23] Dufour E., « Aletheia », in Essais et conférences, Paris, Seuil, 1958, p.317-322.
[24] Ibid., p.190.
[25] Ibid., p.186.
[26] Lacan J., Le Séminaire Livre VIII, Le transfert, op. cit., p.453.
[27] Lacan J., Le Séminaire Livre II, Le moi dans la théorie de Freud et dans la technique psychanalytique, op. cit., p.191.
[28] Ibid., p.186.
[29] Ibid., p.192.
[30] Ibid., p.197.
[31] Ibid., p.196.
[32] Ibid., p.199.
[33] Ibid., p.201.
[34] Ibid., p.202.