Kid sonne juste.
Pour autant, qu’est-ce qui en fait une œuvre résonnant au-delà du poème If de Rudyard Kipling ? Anaphore de fin pourrions-nous répondre, qui se scande d’un « Mais moi » ! Énonciation d’un dire comme réponse face au mandat paternel : « Tu seras viril mon fils ».
Les paroles font chanter un père qui pourrait tout aussi bien être la mère que la culture précise Eddy de Pretto. Un père qui s’adresse dans une injonctive virile à son fils et anticipe ce qui serait une voix-e déjà toute tracée.
« Tu seras viril, mon kid
Je ne veux voir aucune larme glisser
Sur cette gueule héroïque et ce corps tout sculpté
Pour atteindre des sommets fantastiques
Que seule une rêverie pourrait surpasser »
Excluant les airs féminins que le fils pourrait prendre et qui viendraient ternir, voire faire honte à l’image masculine, laissant apparaître l’épreuve que la femme représente à l’occasion pour l’homme, l’épreuve de sa vérité :
« Tu seras viril, mon kid
Je ne veux voir aucune once féminine
Ni des airs, ni des gestes qui veulent dire
Et Dieu sait si ce sont tout de même eux les pires à venir
Te castrer pour quelques vocalises
Tu seras viril, mon kid
Loin de toi, ces finesses tactiques
Toutes ces femmes au régime qui féminisent vos guises
Sous prétexte d’être le messie fidèle
De ce fier modèle archaïque »
Puis, le discours paternel fait rapidement place au couplet retournant l’injonction virile en un « abus » de virilité :
« Virilité abusive
Virilité abusive »
Abus. On dit d’un truisme qu’il est un abus de langage. On parle aussi d’un abus de confiance, désignant cet usage du trop, soulignant l’excès. En revenant à son étymologie, le préfixe –ab veut dire « qui s’éloigne de ». Un ab-us c’est donc s’éloigner de l’usage, user complètement, soit l’évider de ce qui pourrait constituer un usage particulier, sa façon à soi, son invention.
La deuxième partie de la chanson explose comme une réplique, un pied de nez à l’idéal de puissance qui colle au fantasme de masculinité. Et le kid répond au père comme une échappée belle à ce qui pourrait être une souffrance masculine :
« Mais moi mais moi je joue avec les filles
Mais moi mais moi je ne prône pas mon chibre
Mais moi mais moi j’accélèrerai tes rides
Pour que tes propos cessent et disparaissent
Mais moi mais moi je joue avec les filles
Mais moi mais moi je ne prône pas mon chibre
Mais moi mais moi j’accélèrerai tes rides
Pour que tes propos cessent et disparaissent »
Au-delà du caractère personnel de ces paroles que revendique l’artiste, le texte trouve un écho dans la clinique des hommes et dans cette difficulté pour chaque-un à s’accorder au phallus comme symbole et image, mais au-delà, à régler son propre rapport au désir et à la jouissance.
Nous savons que pour l’homme, ce rapport n’est pas un long fleuve tranquille. Il peut y croire, plus ou moins, mais aussi ne plus y croire quand l’effet de débandade le guette. Ce que l’expérience de la castration aura tôt fait de lui rappeler, c’est que le phallus se présente avant tout comme manque.
Dans sa façon d’habiter les mots, Eddy de Pretto y est à plein, lui qui ne veut pas répondre d’un genre précis mais plutôt « se raconter et ce le plus justement possible ». Cela n’est pas sans rappeler ce dire au plus près de ce qui nous arrive en analyse. Voici la justesse qui donne le ton de ses mélodies, connotant la résonnance de ce qui l’y intéresse. Juste résonnance, fréquence propre.
À partir de ces justes mots, se dessine la question du « style » dans la langue singulière de ce rappeur. Le style dans son étymologie latine fait référence au poinçon. Le terme antique le ramène également à cet objet inscrit aux origines de l’écriture puisque le poinçon, le style permettait de « tracer la pensée sur la surface de la cire ou de tout autres enduit mou ». Eddy de Pretto trace le sillon d’un style sur la surface d’un langage musical portant l’interrogation sur ce qui s’habite de l’écriture.
Le premier album Cure d’Eddy de Pretto – auteur, compositeur, interprète – est paru en mars 2018.